Épilogue amer pour les salariés de New Look
Le groupe d’habillement, en grande difficulté, s’est déclaré en vente, après cinq mois d’improvisation. Ses salariés manifestent lundi 18 mars devant le siège du groupe à Paris pour dénoncer « le mépris » de leur direction.
La crise de l’habillement a rattrapé les 496 salariés français de New Look. Depuis septembre, le démantèlement du réseau français de la marque britannique se profile. Mais la fin de l’histoire ne s’est pas écrite sans rature. L’impréparation et la brutalité de la direction ont même de quoi surprendre, pour un groupe de cette ampleur. « J’ai rarement vu des méthodes d’une telle violence », souffle l’avocate des salariés, Me Judith Krivine.
Le couperet est tombé le 10 septembre : 21 des 30 magasins français doivent fermer d’ici à 2021 et la moitié des salariés perdront leur emploi. Mais la direction britannique de New Look fait peu de cas du droit français en matière de plans sociaux. Elle ferme brutalement deux magasins, à Calais et Rouen, alors que les discussions avec les représentants du personnel pour un « plan de sauvegarde de l’emploi » (PSE) ne font que commencer et doivent s’étendre sur trois mois selon la procédure légale. La direction dit vouloir profiter de la fin des baux commerciaux. Baux qu’elle a elle-même dénoncés six mois auparavant sans en informer les salariés. En attendant qu’on statue sur leur avenir, les employés des deux magasins sont placés en dispense d’activité. Et la boutique de Rouen est même déménagée en pleine nuit.
« Ils ont fait les choses salement. Avec des méthodes qui symbolisent bien le mépris de la direction », tranche Laurent Degousée, co-délégué national du syndicat Sud Commerce. C’est aussi l’analyse, à mots plus feutrés, de l’Inspection du travail. Le 26 octobre, elle enjoint la direction du groupe à respecter les procédures d’information et de consultation des représentants du personnel, à suspendre sa réorganisation et lui recommande l’installation d’une cellule d’écoute psychologique pour les salariés du magasin de Calais. « Les choses ont été mal engagées », concède aujourd’hui la communication de New Look France, jointe par Politis.
La comptabilité gérée depuis l’Angleterre
Pris dans des difficultés à l’échelle planétaire depuis 2016, avec l’effritement des ventes de vêtements dans les magasins physiques (–13,6 % en France en 2017-2018), New Look a resserré les rangs sur sa base britannique : 120 magasins ont été fermés en Chine en 2018, 6 en Belgique et 16 % de ses 570 magasins du Royaume-Uni doivent fermer. Les « fonctions supports » comme la comptabilité ont été rapatriées en Grande-Bretagne, ce qui a accentué la déconnexion et entraîné des _« dérives gestionnaires et managériales », note une expertise commandée par le comité d’entreprise (CE) de New Look. Redressement fiscal, comptes officiels non certifiés sans que les salariés ne sachent pourquoi… L’expert-comptable, qui n’a pas reçu tous les documents demandés sur la stratégie de l’entreprise malgré ses prérogatives légales, pointe un amateurisme certain dans la gestion de la crise par une direction possédant « des connaissances insuffisantes du cadre légal de direction des entreprises en France ».
Sans que la justice, saisie par les syndicats, n’ait eu le temps de statuer sur la légalité du PSE conduit à marche forcée, la direction finit par abandonner le projet, le 4 décembre. Le plan social est annulé et le magasin de Calais est réouvert le 4 mars, en attendant une hypothétique liquidation en bonne et due forme et sans que les salariés – qui n’ont d’ailleurs pas tous repris leur poste – ne soient fixés sur leur avenir.
Dans le même mouvement, les rênes de New Look France sont confiées à un trio de manager de « transition », présenté comme une équipe d’urgentistes spécialisés dans les cas désespérés. « Des liquidateurs, reformule Laurent Degousée, chargés de vendre ce qui peut l’être pour liquider le reste ». Leur société, PHinancia, comme une poignée de « cabinets de retournement d’entreprise » en France, interviennent « souvent au forceps » dans « des boîtes à l’agonie », en endossant le rôle de mandataire social des sociétés pour « appliqu[er] en dix-huit mois maximum un traitement de choc pour éviter la mort de l’entreprise », lit-on dans Les Échos_.
Le processus entre en tout cas dans une nouvelle phase, théoriquement plus carrée selon le groupe. « Le directeur des opérations se déplace tous les jours dans les magasins, avec la volonté de recréer une forme de lien qui avait certes disparu. Le paradigme a changé », assure New Look France à Politis.
Au contraire, l’avocate des salariés, Me Judith Krivine, dénonce un durcissement du dialogue :
Ils avancent sans jamais informer et consulter les représentants du personnel. Ils sont extrêmement méprisants et déloyaux avec le personnel, par omission voire mensonge. Leur seule stratégie consiste à attendre que nous les assignions en justice et, juste avant les audiences, à abandonner leur projet pour rendre les procédures sans objet.
Dernière démarque
La nouvelle direction annonce finalement le 28 février qu’elle cherche un repreneur. Pour tout ou partie de ses magasins, avec ou sans l’étiquette New Look. _« Pour le moment, la nature [de l’offre de reprise] n’est pas fixée, indique la communication de New Look France. Nous avons de la trésorerie pour tenir dans les prochains mois et l’annonce a généré quelques marques d’intérêt. »
Les espoirs de sauver les emplois du réseau restent pourtant minces. « Le risque est de se retrouver en liquidation judiciaire au terme du délai alloué à la recherche d’un repreneur », s’inquiète un représentant du personnel sous couvert d’anonymat. Les salariés maintiennent néanmoins la pression sur la direction pour exiger des réponses.
Notamment sur l’état des baux et de la trésorerie du groupe qui reste centralisée au Royaume-Uni. New Look vient d’être assigné en justice pour un défaut de paiement des loyers de son magasin de La Défense. Situation que les salariés ignoraient. Et les prix de transfert pratiqués par la maison mère anglaise pour aspirer la trésorerie de la filiale française ont plombé les comptes, dans des proportions qui restent à éclaircir.
« Nous voulons faire en sorte que New Look rende des comptes », détaille Laurent Degousée. Et qu’il organise un plan social en bonne et due forme, « sans attendre un hypothétique repreneur », abonde un représentant du personnel. Les salariés revendiquent également une meilleure information. « L’objectif est pour l’heure d’obtenir une réunion avec un véritable décideur de la société mère anglaise, le commissaire aux comptes, le cabinet d’audit mandaté par la direction, les représentants du personnel et leurs experts, afin d’avoir des informations loyales. Et, que la direction décide de vendre tout New Look ou “par appartement“ [par lots]_, que cela puisse se faire dans le respect et avec des garanties correctes pour les salariés »_, détaille Me Judith Krivine.
L’incertitude et le défaut d’information sont aussi un motif de souffrance pour les salariés du groupe. Plusieurs « droits d’alerte » ont été déposés par les représentants du personnel devant la justice, notamment après des accidents du travail à Strasbourg ou face aux conditions de travail dégradées à Villetaneuse.
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