Extinction Rebellion sonne la révolte en France
Après le collectif anglais du même nom, Extinction Rebellion France se lance officiellement ce dimanche 24 mars à Paris. Objectifs : obliger le gouvernement, sous contrôle d’une assemblée citoyenne, à atteindre le zéro émission net de gaz à effet de serre d’ici 2025 et à stopper la destruction des écosystèmes.
Des militants prêts à aller en prison pour la cause qu’ils défendent, ça n’est pas complètement nouveau. Même quand la cause est l’environnement : les membres de Greenpeace qui pénètrent illégalement dans des centrales pour démontrer les failles des systèmes de sécurité. Les faucheurs volontaires, qui détruisent des champs à semences OGM qui ne leur appartiennent pas. Les habitants des ZAD, de Sivens à Bure en passant par Notre-Dame-des-Landes, le GCO à Strasbourg ou la forêt de Romainville, qui occupent des « grands chantiers inutiles ». Les membres de ANV COP 21 et Bizi !, quand ils bloquent le sommet pétrolier de Pau en avril 2016, ou d’Attac, quand ils « attaquent » un magasin Apple sur les Champs-Élysées en novembre 2018 ou le siège de Bayer-Monsanto le 14 mars dernier pour, déguisés en abeilles, installer une scène de crime écologique sur le perron de la multinationale qui continue de s’enrichir en commercialisant du glyphosate… Tous savent qu’ils passent assez vite les frontières de la légalité.
Mais un groupe qui se constitue, comme Extinction Rebellion, sur l’idée de révolte contre l’inaction climatique et l’extinction des espèces en brandissant la désobéissance civique comme principe fondateur associé à la non violence mais dans une perspective d’actions plus « radicales » que des marches pour le climat, et faisant de l’interpellation une revendication politique, c’est assez inédit. Suffisamment en tout cas pour faire naître, depuis la matrice anglaise et sa première action visible avec le blocage des cinq ponts principaux à Londres le 18 novembre – jour de la première manifestation de gilets jaunes en France – des déclinaisons rapides dans l’Hexagone, aux États-Unis, en Italie, en Allemagne, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Espagne, en Belgique, au Portugal, au Brésil, en Colombie, en Suède, en Inde… Soit plus d’une centaine de pays dans le monde. Mi-janvier, Extinction Rebellion France, XR pour les intimes, comptait dans les 900 inscrits. Deux mois plus tard, à la veille de sa « déclaration de rébellion » le 24 mars, place de la Bourse à Paris, ils sont plus de 2 300 dont 700 très actifs et déjà 600 signataires à une tribune commune à paraître dans Libération.
« Changer de braquet »
« Signe qu’il est temps pour beaucoup de monde de changer de braquet, de passer à d’autres modes d’actions », observe Corinne Morel Darleux. Militante écosocialiste, conseillère régionale d’Auvergne-Rhône-Alpes, démissionnaire de la France insoumise et de la direction du Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon en novembre, elle fut une des premières à écrire sur XR dans la presse française et à rejoindre ses rangs. « Mercredi 31 octobre à Londres, plusieurs centaines de personnes se sont regroupées devant le Parlement, à Westminster, munies de panneaux sur lesquels figure un étrange motif : un sablier enfermé dans un rond. Ce rond, c’est notre planète. Le sablier, le compte à rebours de l’extinction, expliquait-elle dans sa chronique de Reporterre. XR revendique une approche systémique qui prend le contre-pied du sentimentalisme ordinaire, et n’hésite pas à se qualifier de révolutionnaire. Vu de France, il peut sembler paradoxal d’en appeler au soulèvement populaire et de parler de situation de guerre tout en se disant non violent, tant on a essayé de nous fourrer dans le crâne que les insurrections étaient forcément sanguinaires. Il suffit pourtant de se souvenir de la marche du sel de Gandhi ou de la dissidence de militants – noirs et blancs – contre la ségrégation raciale dans les bus des années 1950 aux États-Unis. »
C’est cette chronique qui a donné envie à Jonas, 23 ans, étudiant dans une grande école, de rejoindre XR où il est aujourd’hui membre du « groupes médias » qui compte 70 personnes, dont 40 « très actives ». Écolo « depuis toujours », il n’avait jamais milité nulle part, ni même manifesté. Lui perçoit XR comme un « mouvement politique » : « XR se démarque du militantisme traditionnel. Les autres mouvements climat défendent essentiellement le climat. XR met l’alerte sur l’extinction des espèces sur le même plan que la dénonciation de l’inaction face au réchauffement. XR ne veut pas s’en tenir à dénoncer les symptômes mais le mal qui les déclenche : l’ultralibéralisme et le mythe de la croissance infinie dans un monde aux ressources finies. » La référence à laquelle XR le renvoie serait plutôt les droits civiques aux États-Unis que les actions d‘Ende Gelände, mouvement de protestation antinucléaire et contre l’exploitation du charbon qui recueille par ailleurs l’admiration de jeunes du collectif Youth for Climate.
Bruno Goube, directeur d’une école maternelle dans l’Isère, et membre d’Enseignants pour la planète, a découvert l’existence de XR via le média en ligne The Conversation.
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« J’ai lu l’article d’un chercheur qui expliquait pourquoi il avait rejoint XR. J’ai cherché à en savoir plus sur ce mouvement qui avait vocation à s’internationaliser. » Ce qui l’a séduit d’emblée : « L’expression explicite de l’état d’urgence. J’en avais déjà conscience mais sans trouver de mouvement qui le manifestait aussi clairement. Et puis l’alliance de principe entre désobéissance civique et non violence. Ensuite, la manière dont le mouvement se crée en cohérence avec les valeurs qu’il défend : très horizontal, chacun y a sa place, chacun peut prendre des initiatives. Il se constitue en groupes de travail où il faut accepter de faire confiance aux autres. »
« Holacratie »
Un groupe « actions et logistique », un groupe « infrastructure », un groupe « médias et messages relations presse et communication », un groupe « culture régénératrice, vision et solution », un « groupe désobéissance civile et non violente », un « groupe soutien juridique »… « Holacratie », résume Jonas en évoquant ce mode de gouvernance par éléments auto-régulés comme des écosystèmes indépendants qui fonctionnent à la fois comme entités autonomes et comme parties d’un tout. Donc XR France n’a ni leader ni porte parole ni dépendance vis à vis de XR Grande-Bretagne mais se reconnaît dans les valeurs de son aîné anglais. Les groupes locaux de XR en France se rattachent à XR national mais en sont également autonomes. Les groupes de travail de XR avancent à la fois en tant que groupes et en tant que membres d’un collectif.
« On sort des discours du mouvement climat, on sort de la culture du nombre et des habitudes militantes, on va montrer qu’on peut faire des choses disruptives, radicales et créatives », espère Corinne Morel Darleux qui reconnaît avoir également quitté son parti pour s’engager dans ce type de mobilisation : « Aujourd’hui, je crois plus à l’efficacité d’un tel mouvement qu’à la stratégie habituelle de conquête du pouvoir. Face à la gravité et l’urgence de la situation, on n’a plus le temps d’attendre. »
« XR est déjà très organisé », observe Jonas. Il admet que le suspens grimpe à la veille d’un lancement qui a fait autant de « teasing » sur les réseaux sociaux, vidéos à l’appui, que la sortie d’un film choc.
D’autant plus attendu que, de fait, le mystère plane sur les actions à venir. D’abord parce qu’elles sont illégales, et assumées comme telles. Donc probablement déjà surveillées. « On sait qu’on court le risque d’être infiltrés », prévient Jonas. Ensuite, parce que ces actions, leur mise en scène, leur médiatisation, leur impact sur l’opinion constitue le centre névralgique de XR. « La première victoire, c’est déjà d’avoir su fédérer autant de monde sur un projet avant le démarrage même des actions », analyse-t-il en misant, pour sa part, sur l’effet « sensibilisation ». Corinne Morel Darleux, qui ne croit plus aux « actes décisifs », anticipe les actions de XR comme des « pierres à l’édifice ». Elle reste frappée par la détermination qui s’exprime au sein du mouvement, corollaire de l’urgence.
L’urgence aux tripes
L’objectif affiché de XR, au deuxième rang sur sa page officielle, c’est d’obliger le gouvernement à atteindre le zéro émission net de gaz à effet de serre d’ici 2025 et à stopper la destruction des écosystèmes océaniques, terrestres et aériens.
Les “bonnes intentions”, les “accords non-contraignants” et les “feuilles de route” ne changeront rien à la situation (…) Notre survie et celle des autres espèces ne doivent pas dépendre d’hypothétiques et lointaines solutions technologiques. Renoncer de nous-mêmes au modèle de croissance économique actuel et à la consommation de masse avant que nous y soyons forcés par les limites planétaires est la seule option viable. Nous devons donc amorcer immédiatement une descente énergétique et l’abandon des combustibles fossiles. Cette politique devra être portée au niveau international par des accords contraignants afin d’engager un effort global à la mesure des enjeux. (Extinction Rebellion France)
L’objectif premier, c’est « la reconnaissance de la gravité et de l’urgence des crises écologiques », le troisième, « l’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes océaniques et terrestres ». Le quatrième : « La création d’une assemblée citoyenne chargée de décider des mesures à mettre en place pour atteindre ces objectifs et garante d’une transition juste et équitable. »
Pas de culture du secret à XR, « mais une certaine “culture pirate”, note Corinne Morel Darleux, pointilleuse sur la question de la protection des données. » Le forum interne est hébergé sur un serveur privé et alimenté par les énergies renouvelables, pour éviter les fuites et essayer de contourner les GAFA (grandes entreprises d’internet).
Si certains assument nommément la participation au mouvement, sur la plateforme d’échanges, les conversations se tiennent plutôt sous pseudonymes. Et bon nombre de ses membres ne se connaissent pas encore physiquement. Le mouvement serait néanmoins très transgénérationnel, avec beaucoup de jeunes, voire de très jeunes, selon Jonas, mais aussi des « vieux fourneaux », qui se sont même créé un groupe de travail sous ce nom clin d’œil « à la ZAD » et à la série BD de Lupano et Cauuet. Des militants de longue date fatigués du manque de réponses aux mobilisations, pétitions etc., des gens qui n’avaient jamais milité nulle part également.
Des « anars », « mais aussi des gens qui ne se disent pas anticapitalistes », jauge Jonas, de son observatoire « grande école de relations internationales » : « Plutôt critiques de l’ultralibéralisme et du modèle “la croissance ou la vie” ». Trop « blanc » sûrement ce mouvement, qui en a conscience et le déplore, trop « geek » et CSP+ aussi peut-être, pour l’instant. Car, avec les groupes locaux, et les actions qui peuvent intégrer pour l’occasion des non-inscrits, les profils devraient se diversifier encore. Reste que la démarche de radicalisation – mot tangent dans un contexte post-attentats – est très palpable : ceux qui ont rejoint XR ne croient plus aux mouvements traditionnels, et l’urgence les prend aux tripes.
Mais la participation n’est pas que confidentielle : XR compte désormais sur l’appui de plus de 200 universitaires et intellectuels, dont Noam Chomksy et Naomi Klein. Cyril Dion, le réalisateur de Demain !, a évoqué le mouvement en prenant la parole lors de la Marche du siècle le 16 mars.
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Et la déclaration de rébellion du 24 mars sera émaillée de prise de parole de Susan George, présidente d’honneur Attac, de Pablo Servigne, une des théoriciens de la collapsologie, de Jean-Baptiste Fressoz, historien et auteur de L’Événement anthropocène, de Claire Lévy, océanographe (CNRS) et Corinne Morel Darleux.
L’escalade
Désobéissance et non-violence, c’est ce qui agrège les troupes. Avec probablement différentes perceptions des deux termes. « À chacun de placer ses limites », estime Bruno Goube. Commencer par des actions « symboliquement fortes mais sans destruction » lui paraît « la bonne option ». « Moi je suis peu exubérant, moins actif en manif qu’en relations médias », confie aussi Jonas. Mais Bruno reconnaît aussi qu’il faudra petit à petit « se demander jusqu’où va l’escalade. Car l’escalade paraît logique : les autorités ne vont pas se laisser faire. » Ni les lieux de pouvoirs : car XR prévoit des actions de sensibilisations mais aussi de blocage pour « déranger l’économie, lui faire perdre du temps et de l’argent ». « Il faut commencer par des manifestations populaires, poursuit Bruno Goube, puis monter d’un cran. Les marches ont été un succès mais la réponse politique n’est pas à la hauteur des enjeux. »
La réponse de François de Rugy adressée le 15 février aux 2,2 millions de signataires de l’appel à soutien à l‘Affaire du siècle n’est « que » la réponse d’un ministre de l’Environnement selon lui, quand il faudrait « une prise de parole présidentielle solennelle ». Pour Jonas, les dix pages du ministre confinent à « l’arnaque ». Les manifestations des gilets jaunes et les actions des black blocs ont déclenché selon lui une avalanche de réponses liberticides quand la non-violence pourrait convaincre un plus grand nombre de citoyens : la répression d’un mouvement non violent attirant d’avantage de sympathie que d’éventuelles « casses ». C’est la stratégie.
« On a une tradition de résistance en France, quand même », rappelle Corinne Morel Darleux qui souligne qu’en Angleterre, la situation est sensiblement différente : XR avait prévenu la police des actions qu’il allait mener et que, lors des arrestations, « c’était tout juste si les policiers ne mettaient pas une main derrière la tête des manifestants en les embarquant pour ne pas qu’ils se fassent mal ». En France, le climat actuel de surenchère répressive du gouvernement laisse craindre des dénouements violents à des actions pensées comme non violentes. XR devra s’y préparer.
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