La méthode Jadot

Misant sur l’omniprésence de l’écologie dans le débat politique, le leader d’EELV ignore ses anciens alliés, et milite pour le dépassement du clivage gauche-droite. Une stratégie controversée, mais pour l’instant gagnante.

Agathe Mercante  • 27 mars 2019 abonné·es
La méthode Jadot
© crédit photo : Christoph de Barry/Hans Lucas/Afp

B ien entendu que les écologistes sont pour le commerce, la libre entreprise et l’innovation » ; « Nous poserons nos conditions à un contrat de gouvernement avec le prochain président de la Commission [européenne]_. Si on nous propose un programme qui améliore substantiellement le fonctionnement de l’Union et les politiques européennes, alors les Verts y apporteront leur soutien. »_ En relisant son interview au Point du 1er mars, Yannick Jadot, tête de liste d’Europe écologie-Les Verts pour les européennes de mai, se doutait-il que ses propos sonneraient à certaines oreilles comme une trahison de la gauche, et une tentative de récupération des électeurs centristes ? Son ancien allié de la présidentielle de 2017, Benoît Hamon, candidat de Génération·s, a d’emblée attaqué : « L’écologie politique, ça ne passera pas par le fait d’être ou de gauche un jour, ou de droite un autre », tandis qu’un des cadres du mouvement confiait ensuite à Politis : « À moins que cette déclaration soit pour gagner les voix des macronistes, je ne la comprends pas. » Pas en reste, Jean-Luc Mélenchon renchérissait quelques jours plus tard sur son blog : « Yannick Jadot retourne officiellement à ses convictions libérales bien connues des adhérents d’EELV. » Mais à quelque chose, malheur est bon. Car si la polémique permet aux rivaux d’EELV d’engager la bataille à gauche pour les européennes, elle sert aussi bien l’eurodéputé, candidat à sa réélection, qui multiplie depuis les apparitions et explications dans les médias. Dans une longue interview au Monde (16 mars), il se défend : « Cela fait trente ans que je me bats contre le capitalisme financier. S’il y a un député qui a pris le leadership contre les accords de libre-échange européens, c’est moi. » Et d’obtenir une tribune pour expliquer, détailler et diffuser la ligne rigoureusement « écologiste » qu’il porte. Mais s’il a remis les points sur les i, précisant qu’il n’y aurait ni alliance avec le PPE (droite) et sans doute pas non plus avec le PSE (Parti socialiste européen), ni « tambouilles », Yannick Jadot a ressuscité chez ses alliés et ses électeurs la crainte d’un autre « ni-ni », celui du « ni gauche ni droite » prôné jadis par les écologistes.

Jusqu’au début des années 1990, il était incarné chez les Verts par Antoine Waechter, docteur en écologie. Il avait offert aux Verts de beaux succès : 3,8 % à la présidentielle de 1988, et surtout 10,6 % aux européennes de 1989. « Il est devenu l’homme fort des Verts dans un contexte où la gauche incarnée par Mitterrand décevait et où l’écologie politique répondait à plusieurs catastrophes écologiques », analyse l’historien Alexis Vrignon. À l’époque, l’opinion se préoccupait des pluies acides, du trou de la couche d’ozone, de la disparition de la mer d’Aral… Depuis, les signaux d’alarme sont devenus pléthore : épisodes caniculaires, multiplication des cyclones, biodiversité en danger, alertes et recommandations du Giec ignorés par les gouvernants alors que le point de non-retour sera atteint autour de 2030, lycéens – et citoyens – mobilisés en masse contre le réchauffement climatique, pétition de l’Affaire du siècle, porteuse d’un recours en justice contre l’inaction de l’État, et qui a été signée par plus de deux millions de personnes… Et surtout : la gauche est atone, divisée, incapable de se remettre des ravages de l’ouragan (politique, cette fois) qu’ont été la faillite du quinquennat Hollande et l’élection d’Emmanuel Macron.

Voilà pour les similitudes. Car du « ni-ni » de cette époque, les écologistes ne parlent plus, voire le rejettent. « La ligne Waechter, c’était en fait des zigzags entre la droite et la gauche », critique Yannick Jadot. Pas forcément tous acquis à la ligne qu’il défend, les EELV préfèrent afficher leur soutien et refusent de se définir par des « cosmologies anciennes », selon les mots de leur secrétaire national, David Cormand. Lors de son discours au dernier conseil fédéral du parti, le 16 mars, il martelait : « Notre écologie est une écologie qui refuse de se laisser réduire à une commode définition qui la rangerait à gauche, parce que notre ambition n’est pas de rénover les logiciels anciens. » En termes plus crus, un cadre du parti résume : « Le sauvetage de la gauche n’est pas notre affaire. » L’alliance entre écologistes et socialistes a fait son temps.

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. « Le quinquennat de François Hollande nous a pratiquement tués », explique Sandra Regol, l’une des porte-parole d’EELV. Outre les nombreux arbitrages perdus par la ministre du Logement Cécile Duflot et son collègue en charge du Développement Pascal Canfin (aujourd’hui passé au macronisme et numéro 2 de la liste LREM), c’est la vague de départs de leurs députés qui les a mis à terre. « En 2016, nous n’avions plus d’argent, et tous nos dirigeants étaient partis », résume Sandra Regol – Barbara Pompili et François de Rugy sont désormais des chevilles ouvrières de la macronie. Une « clarification idéologique », se félicite-t-elle aujourd’hui. Résilients – ou naïfs ? –, les Verts avaient pourtant persisté en s’alliant avec le candidat victorieux de la primaire de la gauche, le socialiste frondeur Benoît Hamon. Avec le résultat qu’on connaît (6,36 %). Une claque pour le PS, un électrochoc pour les Verts, qui ont désormais compris la leçon… et en gardent une rancœur tenace.

« On ne veut plus être les supplétifs de la gauche », résume Marine Tondelier, élue EELV d’opposition à Hénin-Beaumont. N’est-ce qu’une question de stratégie, ou d’idées ? Un peu des deux. « Nous nous sommes construits autour des valeurs de solidarité, d’humanisme et de féminisme », liste Yannick Jadot, comme un rappel des fondamentaux de gauche. « On peut tout à fait être écologiste et de gauche, c’est la gauche qui n’est pas écologiste », théorise Jérémie Crépel, élu de la majorité municipale à Lille. « Être de gauche, c’est vouloir réduire les inégalités, quand on regarde le quinquennat de François Hollande, on a le droit de se poser des questions », abonde Marine Tondelier. Étrange paradoxe que de critiquer un quinquennat social-libéral sans pour autant fermer la porte à une certaine économie de marché. « Les écologistes ne se sont jamais clairement prononcés sur la question de l’anti-libéralisme. Sur la fin du productivisme, si. Waechter n’a pas fait Mai 68 », rappelle Alexis Vrignon. Si avoir – ou non – participé aux grèves générales ne fait pas l’écologiste ou le gauchiste – le macronophile Daniel Cohn-Bendit en est témoin –, il reste que les points de désaccord des Verts avec la gauche de tradition révolutionnaire sont difficilement dépassables. « Nous avons beaucoup de points en commun avec le NPA, mais sur la question de la révolution, du patronat et du productivisme, nous n’arrivons pas à trouver d’accord », explique Sandra Regol. Même son de cloche avec La France insoumise, dont les dirigeants d’EELV ne goûtent guère la stratégie populiste.

« Si je ne suis pas mieux, du moins je suis autre », écrivait Jean-Jacques Rousseau, dont les penchants naturalistes ont inspiré l’écologie. Et c’est sur la crête de « l’autre » que Yannick Jadot et les écologistes capitalisent depuis déjà plusieurs années. « Le rapport gauche-droite n’a plus de sens, il appartient au XXe siècle », explique Jérémie Crépel. Cette écologie indépendante et déliée de la gauche inquiète pourtant au sein du parti, même si rares sont ceux à le dire à haute voix. « Avec d’autres forces de gauche, nous aurions pu créer une alternative aux libéraux et aux populistes d’extrême droite », déplore la sénatrice Esther Benbassa. Sans renier la ligne adoptée par EELV, elle redoute que l’électorat ne s’y perde : « Notre base est très sensible aux questions sociales et très engagée. » Pour gagner, c’est un risque à prendre. D’autant que l’écologie politique a le vent en poupe. « Cette esquisse de ligne est un ballon d’essai, devine Alexis Vrignon. S’ils font une percée électorale ou enregistrent une importante hausse de leur militants, ils pourraient maintenir cette stratégie pour les futures échéances électorales. » Crédité de 8,5 % des intentions de vote, en tête des listes « de gauche » (1), Yannick Jadot espérait en novembre 2018 égaler le score de 2009 (16,28 %). Pour y arriver, EELV lui a donné carte blanche. Vu les abysses où le parti est plongé depuis la nomination de Valls à Matignon en 2014, il n’a rien à perdre.


(1) Selon un sondage BVA publié le 25 mars, qui place La France insoumise à 7,5 %, PS-Place publique à 5 %, Génération·s à 4 % et le PCF à 2 %.

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