Le droit, meilleur avocat de la planète

Les États continuent de refuser de légiférer contre les activités polluantes des entreprises. Malgré cela, une jurisprudence se développe grâce au courage de juges et à la mobilisation de citoyens.

Valérie Cabanes  • 27 mars 2019 abonné·es
Le droit, meilleur avocat de la planète
© photo : Le Grande America a fait naufrage le 11 mars au large des côtes françaises.crédit : MARINE NATIONALE/AFP

Notre droit n’est pas en capacité de garantir un environnement sain. Quarante et un ans après l’Amoco Cadiz, vingt ans après le naufrage de l’Erika, des hydrocarbures et des produits toxiques sont toujours véhiculés sur les océans. La reconnaissance du préjudice écologique ne suffit pas à garantir la relocalisation de notre économie et la sobriété énergétique, ni à obliger pollueurs et transporteurs à s’assurer de la sécurité de leurs activités. Les conteneurs et les produits toxiques contenus sur le Grande America se répandent dans l’Atlantique, menaçant les côtes françaises et espagnoles.

Les hydrocarbures ont la vie dure, alors que leur utilisation est la première source de destruction de notre planète. Les multinationales des fossiles disposent des ressources nécessaires pour survivre, contrairement aux écosystèmes et à des milliards d’humains. Les cinq principaux groupes pétroliers et gaziers ont dépensé un milliard de dollars en lobbying et relations publiques depuis 2015 (la COP 21) pour défendre les activités climaticides, selon InfluenceMap. Les soutiens des banques aux énergies fossiles ont encore augmenté de 7 % entre 2016 et 2018, selon le rapport International Fossil Fuel Finance Report Card 2019 des ONG BankTrack, Rainforest Action Network, Indigenous Environmental Network, Oil Change International, Sierra Club et Honor the Earth.

Les États continuent de nous dire qu’ils ne peuvent rien faire, à l’instar du ministre François de Rugy, qui a répondu aux associations porteuses de l’Affaire du siècle – initiée par Notre affaire à tous – que le poids de la transition repose avant tout sur les citoyens. Comme s’il leur était impossible de légiférer, de contraindre les acteurs à protéger la Terre-mère.

Face aux hydrocarbures, l’océan, comme toutes les espèces et systèmes vivants, a besoin de pouvoir défendre son droit à exister, à être sain, à jouer son rôle dans la communauté de vie. Il doit pouvoir défendre ces droits devant la justice. La personnalité juridique des éléments de la nature doit être reconnue par nos institutions humaines pour mieux prévenir les catastrophes et imposer aux entreprises et aux gouvernements un devoir de vigilance totale.

Une jurisprudence se développe grâce au courage de juges qui créent du droit sans attendre le législateur. Après la reconnaissance de l’Amazonie comme une entité vivante et légale (1), un juge américain vient d’annuler la vente de terres destinées à l’exploitation d’hydrocarbures par fracturation hydraulique pour cause de non-prise en compte du risque climatique.

Toujours aux États-Unis, les habitants de Toledo (Ohio) ont voté en février par référendum en faveur d’une Déclaration des droits du lac Érié, pour lui reconnaître le droit légal « d’exister, de prospérer et d’évoluer naturellement ». En conférant des droits légaux au lac, les habitants de Toledo pourraient engager des poursuites contre les pollueurs, au nom du lac asphyxié par la pollution urbaine et agricole et par le réchauffement. Dans le New Hampshire, des citoyens d’Exeter et de Nottingham ont obtenu, au mois de mars, la reconnaissance du droit à un climat sain et l’interdiction des activités induisant l’émission de produits toxiques dans l’air, les sols ou l’eau.

Avocats de la planète, citoyens et juges crient de concert : nous sommes le futur. Car l’histoire a bel et bien un sens : celui de l’extension des droits. Aujourd’hui, les carbo-fascistes, les nationalistes et même les néolibéraux font reculer nos droits et nos libertés. Nous prétendons qu’ils appartiennent au passé. Donner des droits à la nature est le nouvel horizon des batailles sociales, démocratiques et environnementales. Le droit de la nature à perdurer garantira celui de l’humanité à survivre, car nous ne saurions vivre sans elle, nous sommes la nature.

Nous avons besoin d’un changement majeur. D’une nouvelle gouvernance qui dépasse les frontières de nos États, qui s’intéresse à l’universel. La reconnaissance des écocides, ces crimes contre la sûreté de la planète qui mettent en danger les écosystèmes et la survie de l’humanité, est d’une urgence absolue. Nous pouvons créer un autre « Nous (2) ». Alors faisons-le ensemble !


(1) Lire « Un monde de justice climatique », chronique « Le temps du climat », dans Politis n° 1528, 22 novembre 2018.

(2) À retrouver dans le manifeste de Notre affaire à tous, _Comment nous allons sauver le monde__,_ publié aux éditions Massot.

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Le temps du climat
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