« Les inégalités hommes/femmes restent gigantesques »
Trois femmes de générations différentes témoignent de leur engagement féministe.
dans l’hebdo N° 1543 Acheter ce numéro
Camille Aumont Carnel
22 ans, auteure de la page Instagram « Je m’en bats le clito » (1), qui a 145 000 abonnés.
Je m’inscris dans une continuité, pas dans une rupture. Mon engagement se poursuit dans les valeurs d’égalité qu’on m’a inculquées dès la naissance. Sur mon compte Instagram, j’essaie de briser les tabous autour de la sexualité des femmes. J’en parle comme j’en parlerais à mes copines. Je le fais avec amour et bienveillance, mais avec punch. Les longs discours et les leçons de morale peuvent plomber. Les femmes n’ont plus à se justifier et doivent s’affranchir du politiquement correct. Maintenant, il faut passer à l’action. Ça ne se traduit pas seulement par la manifestation, l’engagement dans une association ou la rédaction d’une thèse sur le féminisme. C’est agir au quotidien, empêcher les personnes de notre entourage de raconter des conneries sexistes, ne rien laisser passer. Nul besoin de légitimité pour se revendiquer féministe et agir.
Pendant quatre ans j’ai travaillé dans la restauration. C’est un milieu dur, hermétique, dominé essentiellement par des hommes blancs. Être à la fois femme et noire n’a pas été évident. Aujourd’hui, quand j’entends « lutte », je pense aussi à la gratuité des tampons, aux violences obstétricales ou à la féminisation de la langue. Vainqueur n’a pas de féminin. On en parle ? Mais donner la priorité à tel aspect plutôt qu’à tel autre, je trouve ça con. La lutte féministe, comme la lutte environnementale, doit se faire sur tous les fronts. Il n’y a pas de priorité, tout est urgent.
Delphine Biard
34 ans, comédienne et coauteure de Spéculum, pièce de théâtre sur les violences obstétricales (2).
Ma prise de conscience est relativement récente, comme pour beaucoup de femmes de ma génération. J’avais la sensation que les acquis étaient suffisants, et le féminisme avait à mes yeux une connotation poussiéreuse, soixante-huitarde, dans laquelle je ne me reconnaissais pas. L’électrochoc a été provoqué par les attentats du 13 novembre 2015. Ce jour-là, j’ai eu peur. J’ai soudainement mesuré que quelque chose ne tournait pas rond dans notre société. Cela a provoqué en moi une remise en question de tout notre modèle, politique et économique, et m’a conduite à un rejet du patriarcat qui est allé de pair avec une prise de conscience écologiste.
Le combat féministe a nécessairement évolué parce que le machisme est plus insidieux aujourd’hui. Notre combat est de faire en sorte que les femmes soient plus puissantes, car l’inégalité et les représentations sexuées restent gigantesques dans tous les milieux. Mais les choses bougent. La génération de nos parents se revendiquait féministe mais restait dans un modèle ancien de répartition des tâches au sein du foyer. Aujourd’hui, beaucoup d’hommes prennent en main leur rôle de parent. Nous devons accentuer ce mouvement, par exemple en faisant en sorte que le congé paternité soit valorisé, qu’il devienne équivalent au congé maternité.
Certaines évolutions peuvent être difficiles à entendre pour l’ancienne génération. J’ai des sujets de conflit avec ma mère, parce que, pour des raisons écologiques, j’ai décidé de ne plus prendre la pilule et de ne plus utiliser de couches jetables pour mes enfants. Pour elle, c’est terrible, parce que ce sont des acquis qui ont marqué sa génération.
Danielle Bousquet
73 ans, présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, et de l’Assemblée des femmes.
Je ne pense pas que les luttes féministes soient fondamentalement différentes aujourd’hui. En revanche, les outils de télécommunication les rendent infiniment plus efficaces et permettent d’aborder des sujets qui n’avaient pas fait l’objet de réflexions jusqu’à présent. Des sujets qui apparaissent sans doute moins fondamentaux pour notre génération, mais qui sont néanmoins importants, comme les violences gynécologiques et obstétricales. C’est aussi possible parce que le terrain a été balisé par les générations précédentes. Il faut certes réaffirmer sans cesse nos conquêtes passées, mais, quand j’étais jeune, la liberté de disposer de son corps était encore à conquérir, avec le droit à l’avortement.
L’affaire de la « ligue du LOL » a mis l’accent sur le sexisme dans l’entreprise, qui est identifié depuis longtemps mais que nous avions beaucoup de mal à faire émerger. Aujourd’hui, des femmes représentatives par leur position professionnelle ont pris la parole. Cela donne à toutes les autres la légitimité d’oser parler. Et cela montre que le sexisme existe partout. C’est important que nous en prenions conscience, car il est systématiquement nié dans le cadre de l’entreprise.
(1) www.instagram.com/jemenbatsleclito
(2) www.facebook.com/speculumspectacle