L’ex-président Michel Temer, arrivé au pouvoir au terme d’un coup d’État institutionnel, en prison pour corruption
L’ex-président Michel Temer a été arrêté jeudi 21 mars. Cette arrestation qui secoue l’opinion et l’indice boursier de Sao Paulo Ibovespa, est l’occasion de revenir sur la présidence du chef de l’État le plus impopulaire de l’histoire du Brésil.
Moins de trois mois après avoir quitté le pouvoir, l’ex-président Michel Temer a été arrêté jeudi 21 mars à son domicile à Sao Paulo sur ordre du juge Marcelo Bretas, de même que son collaborateur et ancien ministre des mines et de l’énergie, Moreira Franco. Escortés par des agents de la police fédérale jusqu’à l’aéroport, il a été transféré à Rio de Janeiro et placé en détention préventive. Arrivé au pouvoir en août 2016 après la destitution brutale de la présidente Dilma Rousseff, Temer fait toujours l’objet d’une dizaine d’enquêtes pour corruption. Il est soupçonné d’être « le chef d’une organisation criminelle » qui aurait détourné jusqu’à 1,8 milliard de réais (environ 415 millions d’euros), dans le cadre du plus grand scandale de corruption de l’Histoire du Brésil, le « Lava Jato » (« Lavage express » en français).
Michel Temer a notamment été arrêté pour avoir perçu un pot-de-vin d’un million de reais en 2014 versé par un homme d’affaires afin d’obtenir un contrat de l’entreprise publique Eletronuclear pour la centrale nucléaire d’Angra 3, dont les travaux commencés en 1984 n’ont jamais été terminés. C’est le deuxième président du pays à se retrouver derrière les barreaux en moins d’un an, après l’arrestation de Luiz Inácio Lula da Silva condamné à 12 années et un mois de prison.
Au Brésil, pays le plus peuplé du continent avec plus de 200 millions d’habitants, l’oligarchie est parvenue à destituer la présidente en exercice Dilma Rousseff par un coup d’État institutionnel et placer son vice-président, le très réactionnaire Michel Temer, au pouvoir sans passer par les urnes.
Dans un contexte aux antipodes de la démocratie, enlisé dans une grave crise économique, le gouvernement Temer dirige alors d’une main de fer la huitième puissance économique mondiale. Il engage la militarisation du pouvoir, augmente le budget du ministère de la Défense et remet l’État de Rio aux mains de l’armée. Devenu le président par intérim le plus impopulaire de l’histoire post-dictatoriale du Brésil, le temps est alors venu d’oublier ces désagréments et faire parler les urnes… pour légitimer l’illégitime : l’ascension progressive depuis 2015 d’un régime autoritaire accompagné d’une résurgence du rôle politique des militaires suite à un coup d’État parlementaire.
Du coup d’État militaire au coup d’État institutionnel
L’histoire du continent est parsemée de coups d’État, mais depuis quelques temps les services de renseignement des puissances impérialistes ont compris qu’il n’était plus toujours nécessaire d’envoyer l’armée pour parvenir à ses fins. Il faut notamment éviter de répéter l’échec du coup d’État militaire de 2002 contre Hugo Chavez au Venezuela, lorsque celui-ci accepte d’être incarcéré afin d’éviter un bain de sang. Le peuple se déplace alors en masse vers le Palais Miraflores (le palais présidentiel) pour exiger son retour, ce qu’il obtient victorieusement le 14 avril. C
orrompre la justice et s’assurer l’appuie de médias dominants et de parlementaires peut suffire à l’oligarchie pour opérer des renversements de régime à moindre coût, sans avoir tant à craindre d’une éventuelle fronde de pays alliés ou de trop choquer l’opinion internationale par exemple. Au Brésil, le dernier « coup » en date, de nature institutionnelle, a remplacé Dilma Rousseff par Michel Temer. Il est semblable à celui qui a renversé Fernando Lugo au Paraguay, le 22 juin 2012, suite à une procédure de destitution déclenchée six jours plus tôt, sous prétexte d’avoir attisé la violence paysanne contre les grands propriétaires terriens.
À l’issue d’un procès politique expéditif de quelques heures au Sénat, le président de gauche – démocratiquement élu en 2008 après 61 ans de règne de la droite incarné par le parti Colorado – et son projet de réforme agraire, sont définitivement écartés. Trois ans auparavant, presque jour pour jour, au Honduras, un autre président de gauche démocratiquement élu organise une consultation pour savoir, si oui ou non, une 4e urne devait être installée lors des élections de novembre 2009 « pour permettre au peuple de se prononcer sur la convocation d’une assemblée nationale constituante » [1].
Ce jour-là, le 28 juin 2009, l’armée fait irruption au domicile du président Manuel Zelaya, le sort du lit alors qu’il est encore en pyjamas, le séquestre et l’expulse manu militari du pays. L’oligarchie reprend le contrôle. Changement de régime La destitution d’une présidente en exercice démocratiquement élue et réélue à la fin de son premier mandat n’est pas une mince affaire.
Pilotée par le président de la Chambre des députés Eduardo Cunha, empêtré dans les affaires de corruption, cette destitution n’est rien d’autre qu’un coup d’État institutionnel qui a permis à la droite de revenir au pouvoir, après quatre défaites électorales consécutives en 2002, 2006, 2010 et 2014. Eduardo Cunha, le chef d’orchestre de la destitution de Dilma Rousseff, qui l’accuse de corruption, sera lui-même condamné le 30 mars 2017 à quinze années de prison pour corruption, blanchiment et évasion illégale de devises. Cynique illustration de l’arroseur arrosé…
Une fois Dilma Rousseff destituée, son vice-président conservateur et réactionnaire Michel Temer s’installe au pouvoir sans passer par des élections, et prend les commandes du plus grand pays du continent le 1 er septembre 2016.
Michel Temer ravit l’oligarchie
Les médias dominants se réjouissent. Le quotidien Folha de São Paulo affirme dans un éditorial [2] percevoir le départ de Dilma Rousseff, comme une “opportunité”. À l’international, hormis le New York Times et The Guardian, rares sont les médias qui dénoncent la manœuvre. The Washington Post (25 mars 2017) et The Economist (26 mars 2016) appellent la présidente à démissionner, tandis que le journal français Le Monde titrait son éditorial, « Brésil : ceci n’est pas un coup d’État » [3] À la lecture de celui-ci on apprenait que Dilma Rousseff avait été « mal réélue »… Il s’agissait pourtant d’une réélection pour un deuxième mandat avec 51,6 % des voix [4].
Michel Temer, qui assure alors l’intérim de Dilma Rousseff depuis la suspension de celle-ci, peut désormais « mettre en œuvre l’une de ses principales promesses : un amendement constitutionnel qui supprime toute augmentation des dépenses publiques pendant vingt ans », approuve de son côté le Financial Times [5]. L’imposition, sur vingt ans, d’un plafond aux dépenses de l’État fédéral brésilien, lesquelles ne pourront croître globalement au-delà de l’inflation annuelle, est en effet adopté fin 2016 au grand dam des services publics, notamment dans la santé et l’éducation.
Le successeur de Dilma Rousseff va instaurer une montée en puissance de l’armée, et une austérité assumée. Installé au pouvoir dès mai 2016, Michel Temer remplace tous les ministres d’État de Dilma Rousseff dont il était le vice-président, et compose son premier gouvernement exclusivement d’hommes Blancs.
Aucune femme, aucun afro-descendant ne sont nommé ministre[6], alors que le gouvernement sortant comptait quant à lui quinze femmes. Le nombre de ministères chute de 32 à 23. Le gouvernement Temer mène de profondes réformes structurelles, dont celle sur le travail, critiquée par l’Organisation internationale du travail (OIT), qui flexibilise encore davantage la main d’œuvre, avec une journée de travail légale prolongée jusqu’à douze heures par jour… Une réforme qui comporte des similitudes avec celle dite loi Travail ou loi El Khomri imposée en France puisqu’un des aspects les plus critiqués concerne les accords collectifs ou accords d’entreprises qui prévalent sur la législation. Une loi qui ressemble également à celle que Viktor Orbán tente d’imposer en Hongrie, dénoncée comme étant « esclavagiste » et qui donne aux entreprises un délai de trois ans pour payer les heures supplémentaires.
La résistance sociale face à Temer
L’ancien procureur de Sao Paulo, Michel Temer, fait de la réforme des retraites un des grands chantiers de son mandat. Celle-ci visait d’abord à reculer l’âge de départ à la retraite à 65 ans, puis Temer a du revoir sa copie avant d’envisager de le porter à 62 ans pour les femmes et à 65 ans pour les hommes. Loin d’une possible répartition du temps de travail dans un pays où le chômage touche 13 % de la population soit près de 13 millions de personnes, cette mesure veut accompagner la tendance d’autres « réformes » ailleurs dans le monde, qui vise à exploiter toujours plus la force de travail en sacrifiant l’accès à une retraite méritée.
C’était sans compter sur la contestation qui s’impose largement dans la rue dès mars 2017. Malgré une intense campagne télévisée pour rendre cette réforme populaire, des grèves nationales sont enclenchées et des blocages de routes installés. Un slogan se répand alors comme une traînée de poudre : « Le droit à la retraite doit rester ! Temer doit partir ! »
Les manifestations reprennent en avril 2018 et, faute de pouvoir réunir les votes nécessaires au Parlement, alors que les affaires de corruption discréditent largement Michel Temer, la réforme est finalement abandonnée un mois plus tard. L’agence de notation Fitch Ratings ne tarde pas à réagir et abaisse dès le 23 février la note souveraine du Brésil, de BB à BB-. Déjà mi-janvier, Standard and Poor’s avait abaissé à BB- la notation du pays, en raison d’un premier report du vote de la réforme, prévu initialement pour décembre [7].
Rappel à l’ordre de la Banque mondiale
L’abandon de ce programme austéritaire ne satisfait pas les marchés et l’arrivé au pouvoir du nouveau chef d’État Jair Bolsonaro est l’occasion d’un rappel à l’ordre. Sans surprise, la Banque mondiale, par la voix de son directeur des opérations pour le Brésil, Martin Raiser, a rappelé le 21 novembre 2018 le programme que Bolsonaro à peine élu moins d’un mois auparavant devait appliquer : « L’important est d’avoir une réforme [des retraites] rapidement, l’année prochaine, pour conserver au moins les recettes fiscales prévues par le gouvernement Temer. Sans réforme, l’État va faire faillite et le risque est de voir l’inflation revenir. » [8]. A cette date, le vainqueur des élections du 28 octobre 2018 n’avait pas encore officiellement pris ses fonctions. Hasard du calendrier d’une ingérence de la Banque mondiale ?
[1] Jérôme Duval, « Le coup d’État du Honduras impose un devoir de mémoire pour mieux en percevoir les enjeux », CADTM, 1 er août 2009 ; Cécile Lamarque et Jérôme Duval, « Honduras : Pourquoi le coup d’État », CADTM, 17 septembre 2009.
[2 ] « Fresta de oportunidade », Folha de S. Paolo, 1 septembre 2016.
[3] « Brésil : ceci n’est pas un coup d’Etat », Le Monde, 30 mars 2016.
[4] Armelle Enders, « La politique du coup d’État. Retour sur la destitution de Dilma Rousseff », laviedesidees.fr, 23 mai 2017.
[5] Joe Leahy, « Brazil’s Temer faces tough budget reform tests », _Financial Times, août 2016. Disponible sur Folha de S. Paolo ; « With the impeachment done, Mr Temer’s finance minister Henrique Meirelles is expected to begin implementing one of the interim government’s main promises to markets – a constitutional amendment that will eliminate real increases in budget spending for up to 20 years. » ; « Une réforme impopulaire qui a une conséquence de taille : les dépenses de santé et dans l’éducation ne seront plus indexées sur la recette publique, comme c’est le cas aujourd’hui », précise le Courrier international qui mentionne cet article. « Après le départ de Dilma Rousseff, une suite difficile pour Temer » Courrier International, 01/09/2016.
[6] Les ministres du gouvernement Temer : « Os ministros de Temer », publié le 12 mai 2016, actualisé le 5 avril 2018.
[7] AFP, « Brésil: Fitch dégrade la note à BB- après l’abandon de la réforme des retraites », 23/02/2018.
[8] Reuters, 21 novembre 2018. « Reforma da Previdência é imprescindível para Brasil crescer mais, diz diretor do Banco Mundial » : « O importante é ter uma reforma rápida, no ano que vem, para manter ao menos os ganhos fiscais previstos no governo Temer », afirmou Raiser a jornalistas. « Sem a reforma, o Estado vai quebrar e o risco e também da inflação voltar. » disponible aussi ici.
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