« Pas dupe », d’Yves Ravey : Un meurtre presque parfait

Avec Pas dupe, Yves Ravey signe un roman délicieusement retors en forme de polar.

Christophe Kantcheff  • 19 mars 2019 abonné·es
« Pas dupe », d’Yves Ravey : Un meurtre presque parfait
© crédit photo : DR

Le narrateur se nomme ­Salvatore, mais il n’est pas sûr qu’il sauve qui que ce soit. Le nom des personnages est important, en particulier chez Yves Ravey. On a rencontré John et Mike Lloyd, Gustave Leroy et Marcello Martini dans ses deux romans précédents ; ici, c’est Salvatore Meyer et sa femme, Tippi, dont la découverte de l’accident de voiture mortel ouvre Pas dupe. Tippi, voilà qui a des échos hitchcockiens. Et que dire de son père, qui répond au nom de Bruce Cazale ?

On retrouve dans le nouvel opus d’Yves Ravey cette mécanique infernale où la victime est identifiée tandis que le coupable pourrait être chacun des autres personnages. Mais le pittoresque de ces patronymes – possibles aux États-Unis, où semble se dérouler l’action – n’est pas anodin : il suggère la dimension poétique, et un tant soit peu parodique, de la trame policière qui se déploie.

Mme Tippi Meyer gît donc au fond d’un ravin, ayant fait une sortie de route au volant de sa berline blanche. Une belle voiture, qui témoigne d’un certain niveau social. Tippi s’occupait en effet des affaires de l’usine que son père lui avait transmise. Tandis que Salvatore Meyer n’en est qu’un salarié. Son beau-père lui lance : « La disparition de ta femme, tu ne pourras pas en profiter. » Voilà qui induit des rapports venimeux, des conflits d’argent, des intérêts intriqués mais contradictoires, d’autant que s’y ajoute un (très proche) agent d’assurances ; bref, des gens pas toujours nets, c’est-à-dire si humains, comme Yves Ravey aime à les mettre en scène.

L’enquête est menée par l’inspecteur Costa Martin Lopez. Là encore l’auteur s’amuse (et nous avec lui). Il en fait une sorte de réplique de Colombo : du genre, une fois sorti par la porte, à passer une tête par la fenêtre pour poser une dernière question. C’est comme un scotch qui colle à la semelle de Salvatore Meyer : il lui est impossible de s’en défaire. Est-ce que la recherche de la vérité ressemblerait à Costa – une manie du détail, pas de génie mais de l’obsession, une forme avariée de l’intelligence : l’esprit ­méthodique ?

« Pas dupe ». Qui n’est pas dupe dans cette histoire ? Le lecteur ? Se fait-il avoir jusqu’à la révélation finale de l’identité de l’assassin ou a-t-il deviné rapidement, dégustant dès lors page après page les arabesques du jeu du chat et de la souris auquel se livrent les personnages ? Yves Ravey est un sacré magicien. « Je savais ce qu’il fallait croire et ne pas croire », lit-on quelque part dans le roman. Ah bon ?

Pas dupe, Yves Ravey, Minuit, 144 pages, 14,50 euros.

Littérature
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