« Qui m’aime me suive », de José Alcala : Un petit air de liberté
Dans Qui m’aime me suive, une comédie sentimentale de José Alcala, des personnages vieillissants s’émancipent des autres et d’eux-mêmes.
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Gilbert, Simone, Étienne. Ils ont la soixantaine, se connaissent depuis lurette, les deux premiers sont mari et femme, tandis qu’Étienne est l’amant de Simone et l’ami de Gilbert. En quelques plans, la situation initiale du trio de Qui m’aime me suive est posée. Ce à quoi il faut ajouter qu’entre Simone et Gilbert le temps a fait son œuvre, ce dernier ayant cédé sur ses engagements de jeunesse mais pas sur son autoritarisme ou sa mauvaise humeur, et vivant mal l’abandon de son métier de mécanicien dû à la mauvaise gestion de son garage. D’où le besoin d’air qu’éprouve sa femme…
Malgré cette entrée en matière, Qui m’aime me suive ne s’engage pas sur la voie du drame. Gilbert le ronchon a quelque chose de comique dans son égoïsme et sa mesquinerie. Tandis qu’il émane de Simone de la fantaisie et de la gourmandise, y compris lors de leurs disputes. On est loin des confrontations haineuses du vieux couple du Chat, le film de Pierre Granier-Deferre, même si le niveau des duettistes Gabin-Signoret est atteint par Daniel Auteuil et Catherine Frot, interprètes complices de Gilbert et Simone. Ces deux grands comédiens, auxquels il faut adjoindre, sous les traits d’Étienne, Bernard Le Coq, parfait en fantasque ex-baba cool, délivrent leur partition à la perfection, comme le feraient des stradivarius qui auraient gardé leur humilité d’instrument. Ils sont essentiels dans le plaisir que procure Qui m’aime me suive.
Cet assemblage « simplicité & subtilité » est de toute évidence la marque de José Alcala, qu’on trouvait déjà dans son film précédent, Coup d’éclat (2011), avec la même Catherine Frot. Ici, c’est à peine s’il agite quelques symboles, comme la présence récurrente d’un Canadair, dans ces magnifiques paysages héraultais, se rechargeant en eau dans le fleuve faisant face à la maison de Gilbert et Simone, prêt à éteindre tous les incendies. Surtout, le cinéaste réussit à suggérer là où d’autres appuieraient pesamment. C’est le cas en ce qui concerne les fougues militantes de Gilbert depuis longtemps remisées. Il suffit qu’il enfile un vieux blouson datant de cette époque, alors qu’il se met à la poursuite de Simone enfuie, pour mesurer, au léger ridicule de sa mise, ses illusions perdues. C’est aussi vrai dans le rapport que Gilbert noue avec son petit-fils (Solam Dejean-Lacréole), dont il doit soudain s’occuper bien malgré lui : leur apprivoisement réciproque ne se fait pas sans rudesse. Et s’ils se découvrent peu à peu des richesses communes, c’est sans sensiblerie.
Enfin, le film souffle un petit air de liberté qui ne réside pas seulement dans l’émancipation de Simone, mais aussi dans ce qui finit par se jouer entre les trois protagonistes, où l’amour, malgré tout, perdure et va de l’un à l’autre. En 1932, la comédie sentimentale de Lubitsch Sérénade à trois sentait la poudre. Aujourd’hui, en présence d’un trio inséparable et vieillissant, ce parfum-là existe encore…
Qui m’aime me suive, José Alcala, 1 h 30.