Tous No Border sans le savoir ?
Pour nombre de militants, la question n’est plus à l’ouverture des frontières mais à la défense d’un monde où l’accueil l’emporte sur l’idée de nation.
dans l’hebdo N° 1544 Acheter ce numéro
On dirait No Border comme on dit No Future. Par projection d’un altermonde où les citoyens pourraient circuler partout sans distinctions de nationalité ni de classe. Et non plus seulement les riches et les marchandises. « Comment faire pour rendre les frontières caduques ? C’est devenu nécessaire avec la militarisation de celles-ci dans le cadre de la guerre aux migrant·e·s enclenchée en Europe, affirme un texte paru sur le site Lundi matin en juin 2018. Après la marche du 22 avril de Montgenèvre à Briançon, il fallait recommencer. Surtout quand trois migrant·e·s ont été retrouvé·e·s mort·e·s dans la vallée, tué·e·s non pas par le froid, mais par la répression policière… » (lire ici).
C’est ainsi que s’est monté Passamontagna, « un camp itinérant contre les frontières, partant de Melezet en Italie, passant par le col de l’Échelle et arrivant à Briançon. Trois jours collectifs et autogérés ». Des slogans comme « mur par mur, pierre par pierre, nous détruirons toutes les frontières ». Et deux banderoles : « No Border » et « No Nation ».
Le 23 janvier 2016, à Calais, une cinquantaine de migrants et de militants ont occupé un ferry, le Spirit of Britain. « 24 migrants et 11 militants de l’association No Border (réseau de militants altermondialistes qui viennent en aide aux migrants) ont été interpellés », relate Le Monde.
Les No Border étaient dans le Calaisis, et peut-être y sont-ils encore. Ils sont dans le Briançonnais, et sans doute dans le Pays basque. Mais, globalement, ils ne se font pas remarquer. Pas de signe. Pas de revendications. Pas de coups d’éclat. Pas de porte-parole. Pas de parole tout court… Les No Border sont très discrets. En tant que groupe ou mouvement, ils sont surtout présents dans les discours de police, italiens en tête. Ils aident les migrants, comme bon nombre de personnes solidaires, qui seraient ainsi No Border sans le savoir ou sans le dire. « Je n’ai jamais entendu quelqu’un dire “je suis No Border”, témoigne Gael Manzi, d’Utopia 56, collectif présent à Calais et à Paris. Si être No Border, c’est être contre les frontières, tous les aidants le sont un peu : un militant pour les droits de l’homme aujourd’hui ne peut pas défendre l’existence de ces frontières qui tuent, sans couloir humanitaire. » Mais c’est moins l’ouverture des frontières qui est réclamée que le respect des droits aux frontières.
« Nous prônons l’ouverture des frontières », avait déclaré Emmanuelle Cosse, alors ministre du Logement, venue dans la jungle de Calais en délégation d’écologistes avec Karima Delli, Sandrine Rousseau et Marine Tondelier, rencontrer les écologistes britanniques Natalie Bennett et Jenny Jones. C’était en octobre 2015, pendant la campagne pour les régionales, l’occasion de revenir sur les accords du Touquet qui gardent la porte de la France vers l’Angleterre fermée (lire ici). Pendant la campagne présidentielle de 2017, l’ouverture des frontières ne figurait dans aucun programme. Seul le NPA évoquait encore la liberté de circulation.
« On va plutôt parler de droit à la mobilité pendant la campagne des européennes », explique André Rebelo, assistant parlementaire de la députée européenne EELV Michèle Rivasi. Titulaire d’un master en sciences politiques sur les questions migratoires, le militant écologiste et altermondialiste déplore n’avoir jamais entendu parler d’« éthique des migrations » au cours de ses études. Un champ pourtant enseigné dans les pays anglo-saxons, en Suisse et en Allemagne. « Ma bibliographie ne comprend aucune référence française. La seule à l’avoir un peu théorisée en France, c’est Catherine Wihtol de Wenden. »
« Dans un monde où tout circule librement, le droit à la mobilité des êtres humains ne va pas de soi. Il y a urgence à définir un droit international des migrants, écrit cette docteure en sciences politiques (1)_. C’est à ce prix que les mouvements migratoires ne sont plus considérés comme une menace. »_
« En France, l’État nation reste l’horizon ultime de la théorie politique, reprend André Rebelo, qui renvoie à l’article fondateur de Joseph H. Carens : « Aliens and Citizens, the Case for Open Borders » (1987). Du Contrat social, de Rousseau, par exemple, ne considère le pays que comme un espace clos sans entrées ni sorties de personnes. » Et les discours sur le « risque d’invasion » et la « crise migratoire » ont conquis l’opinion. « L’ultime combat n’est pas la frontière, confie Gael Manzi, mais la politique d’accueil : car ceux qui parviennent enfin à franchir les frontières ne sont pas tirés d’affaire pour autant. Les déboutés du droit d’asile et les “dublinés” sont contraints de repasser les frontières vers des pays qu’ils ont voulu quitter, ou de rester dans une impasse juridique, à l’intérieur des frontières, peut-être, mais condamnés à l’errance. »