« Foot et monde arabe » : But atteint !
Une exposition à Paris présente un regard original sur le football dans le monde arabe. Entre émancipation des femmes, contestation politique et support de révolution.
dans l’hebdo N° 1549 Acheter ce numéro
Affaire entendue : le football est le sport roi dans le monde arabe. Mais, si la pratique est largement répandue et acceptée du côté des hommes, elle reste un combat pour les femmes. Tandis que le foot féminin se développe et connaît un engouement planétaire (la prochaine Coupe du monde se tiendra en France du 7 juin au 7 juillet), il se heurte encore à des interdits religieux, politiques et culturels.
Les mentalités évoluent cependant, et le foot devient progressivement un outil d’émancipation, jouant un rôle majeur pour la condition féminine dans le monde arabe. En témoignent l’organisation de ligues et de tournois internationaux, la création officielle d’équipes nationales en Jordanie, à Bahreïn et en Palestine. Ce dernier pays entre officiellement à la Fifa en 1998, obtenant de fait une reconnaissance internationale, en dépit des entraves suscitées par les interdictions de voyage, les check-points, les stades bombardés, les matchs disputés sur des terrains improvisés. Honey Thaljieh, capitaine de l’équipe palestinienne de foot féminin, pionnière dans son genre, demeure une source d’inspiration pour nombre de joueuses.
La Jordanie, elle, a été le pays hôte de la Coupe d’Asie en 2018 et, deux années auparavant, de la Coupe du monde de foot des gamines de moins de 17 ans. 17, c’est justement le titre du documentaire de Widad Shafakoj consacré à cette compétition, couvrant le parcours de jeunes Jordaniennes jouant chez elles le premier tournoi international disputé au Moyen-Orient. Un film mêlant collectif et individualités défiant les conventions sociales, familiales et religieuses, dont de larges extraits sont présentés dans cette exposition à l’Institut du monde arabe, à Paris, « Foot et monde arabe ».
Une exposition portée par un esprit de contestation, éclectique, dense, partagée entre photos d’archives et contemporaines (Samer Mohdad, Yoriyas, Amélie Debray, Joseph Ouechen…), coupures de presse et objets (telle la coupe en bronze du « centenaire de l’Algérie française, 1830-1930 »), déployée en onze chapitres (comme autant de joueurs formant une équipe). Une exposition gavée de portraits, de récits, d’anecdotes, de coups de projecteur, où la petite histoire croise la grande, qui s’ouvre sur la figure de Larbi Ben Barek, joueur offensif étincelant, première « Perle noire » du football arabe, né dans un Maroc sous protectorat français (en 1914), et qui se referme sur la prochaine Coupe du monde, qui sera disputée au Qatar en 2022 – assurément le chapitre le moins intéressant, présentant les maquettes des différents stades, n’évoquant ni les conditions de travail des ouvriers ni les soupçons de corruption qui ont accompagné l’attribution de la compétition reine.
Au fil des chapitres, des bruits et des fureurs qui descendent des gradins et gagnent le terrain, des ballons qui ont le cuir dur. À commencer par le rappel de cet événement impensable, survenu le 13 avril 1958, au moment de la guerre d’Algérie : la fuite clandestine de joueurs algériens du championnat de France de foot pour rejoindre le FLN, siégeant à Tunis. Ce sont les stars de Saint-Étienne et de Monaco, comme Rachid Mekhloufi et Mustapha Zitouni, qui constituent l’équipe du FLN, créée à l’initiative de Mohamed Boumezrag. L’équipe rassemblera une trentaine de joueurs, tournant le dos aux Bleus et à la Coupe du monde, organisée en Suède sept semaines plus tard, au profit d’un idéal, celui de la première équipe nationale de l’Algérie indépendante. Ils joueront plus de 80 matchs lors de tournées au Maghreb, en Europe de l’Est et en Asie (avec 57 victoires et 349 buts marqués), incarnant triomphalement le visage du FLN quatre ans durant.
Au lendemain de l’indépendance, l’Algérie, forte d’une reconnaissance par les instances internationales, accueille la Bulgarie pour son premier match officiel, avec huit joueurs de l’équipe du FLN en son sein, tandis que Mekhloufi revient taquiner le cuir à Geoffroy-Guichard, ovationné par les supporters de Saint-Étienne jusqu’à la fin de sa carrière.
Ce n’est évidemment pas évoqué dans cette exposition, mais, aujourd’hui, c’est aussi depuis les tribunes des stades algériens que résonne la contestation de toute une jeunesse contre le clan Bouteflika, entre chants protestataires, fumigènes, tifos et slogans hostiles au pouvoir, orchestrés par les ultras, manifestation la plus visible du supportérisme dans le foot, amplement développé au Maghreb depuis les années 2000.
L’histoire aime à se répéter : en 2011, ce sont ces mêmes ultras qu’on observe en Tunisie et en Égypte (la plus grande nation du foot dans le monde arabe), pointant les pouvoirs en place lors des manifestations des Printemps arabes. C’est là un autre volet de cette exposition. Au Caire, les supporters des clubs rivaux d’Al-Ahly (les Ultras Ahlawy) et de Zamalek (les ultras White Knights) occupent ainsi les premiers rangs de la place Tahrir et défendent les protestataires. Au moment de la révolution de Jasmin, en Tunisie, les premiers heurts avec la police trouvent également leur origine dans les stades de foot, ouvrant la voie à toutes les contestations, au rejet de l’ordre policier.
Rebelles face aux autorités politiques et sportives, ces mêmes ultras sont maintenant réduits au silence, ou presque, souvent interdits de stade, et régulièrement dans l’affrontement devant les forces de l’ordre… Qui a dit que le football n’était pas révolutionnaire ?
Foot et monde arabe. La révolution du ballon rond, Institut du monde arabe, Paris Ve, jusqu’au 21 juillet.