« Je vois rouge », de Bojina Panayotova : un silence bulgare

Dans Je vois rouge, Bojina Panayotova mène l’enquête à Sofia sur les activités politiques de sa famille au temps du communisme.

Christophe Kantcheff  • 23 avril 2019 abonnés
« Je vois rouge », de Bojina Panayotova : un silence bulgare
© crédit photo : jhr films

Bojina Panayotova est une jeune cinéaste, arrivée à 8 ans en France quand ses parents, bulgares, s’y sont installés après la chute du Mur. Une fois devenue complètement française, et notamment après être passée par la Fémis, la jeune femme s’est tournée vers son autre identité. C’est là que son film commence : quand elle retourne pour la première fois en Bulgarie. Il s’y déroule alors (en 2017) un mouvement de contestation dénonçant la corruption orchestrée par les communistes qui, malgré le changement de régime, sont restés aux affaires depuis vingt ans. « Ordures rouges ! », crient les manifestants, insulte que ne peut reprendre Bojina Panayotova, ayant confusément conscience qu’elle offenserait ainsi des membres de sa famille.

C’est ce doute sur le passé que la cinéaste est venue éclaircir à Sofia. Du temps de Todor Jivkov, qui a régné en autocrate sur le pays pendant trente-cinq ans, la police politique s’insinuait partout, concernait tous les Bulgares. Quelle a été l’attitude de ses deux grands-pères, qui étaient membres du parti ?, s’interroge Bojina. Elle a décidé de tirer cela au clair. Mais on ne remue pas ce genre d’affaires sans faire grincer des dents.

Je vois rouge – titre qu’il faut entendre dans toute sa ­polysémie – est un film à la fois politique et familial. Malgré l’ouverture récente des archives en Bulgarie, Bojina Panayotova affronte deux grands tabous : ce passé stalinien et l’activité politique des membres de la famille. De fil en aiguille, elle en vient aussi à demander des comptes à son père et à sa mère, désormais divorcés et vivant toujours en France, qu’elle interroge par Skype depuis Sofia.

Avec ses questions franches, sinon brutales, sa volonté d’introduire sa caméra partout et son idéalisme à fleur de peau, Bojina Panayotova a un côté Tintin reporter à la limite du burlesque, accentué par les grandes lunettes qui mangent son visage. En même temps, l’enquête qu’elle a entreprise a des résonances intimes qui la bouleversent. Elle met en péril ses relations avec ses parents au nom de l’exigence de vérité. Je vois rouge pose ainsi cette question cruciale parce qu’éthique de ce qu’un cinéaste est prêt à sacrifier pour le film qu’il est en train de réaliser.

Faisant feu de tout bois en usant de tous les types d’images (archives, split screen, caméra de surveillance, Skype…), Bojina Panayotova signe là un documentaire inventif, polymorphe et grave sans en avoir l’air, qui laisse augurer de belles choses pour la suite de son parcours ­cinématographique.

Je vois rouge, Bojina Panayotova, 1 h 24.

Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes