La fonte du permafrost, une menace toxique et infectieuse

La hausse des températures entraîne le dégel d’un sous-sol solide depuis des millénaires, qui contient du méthane, du mercure, mais aussi des bactéries et des virus oubliés ou inconnus.

Emmanuel Drouet  • 24 avril 2019 abonnés
La fonte du permafrost, une menace toxique et infectieuse
© photo : Une excavation formée en Sibérie par la fonte du pergélisol, en 2014.crédit : Press service Yamalo-Nenets / AFP

Tout n’a pas été vain à Katowice. Des experts anglais, canadiens, états-uniens, norvégiens et français ont profité de leur présence à la COP 24, en décembre dernier en Pologne, pour relancer un thème qui les inquiète : les multiples conséquences de la fonte du pergélisol (permafrost en anglais). Cette couche de terre et de débris végétaux en partie décomposés, et souvent mêlée à des cristaux ou à des lentilles de glace, restait gelée en permanence depuis des dizaines de millénaires. Il y a une vingtaine d’années, ce sous-sol réputé solide comme du béton a commencé de fondre. Il est présent sur plus de 20 % des terres émergées, en Alaska, au Canada ou en Russie, et sa fonte s’accompagne de mouvements imprévus qui provoquent, par exemple, de nombreuses ruptures d’oléoducs entraînant des marées noires en Sibérie. Dans la toundra, en Russie comme dans le nord du Canada, d’énormes excavations souvent insondables se sont formées en surface. Et de ces failles s’échappent des millions de tonnes de méthane, un gaz à effet de serre bien plus dangereux pour le climat que le gaz carbonique.

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Des spécialistes ont calculé que le pergélisol stockait ainsi 1 700 milliards de tonnes de méthane : une quantité de gaz à effet de serre deux fois supérieure à celle déjà accumulée dans l’atmosphère de la Terre. Le pergélisol cache aussi de grandes réserves de mercure, métal potentiellement toxique et qui pourrait contaminer les poissons et autres animaux marins, voire menacer la santé de l’homme. On estime que le pergélisol contient environ 2 millions de tonnes de mercure, susceptibles de répandre dans l’atmosphère des centaines de tonnes de méthylmercure, sa forme organique (1), composé gazeux toxique pour le système nerveux. En 2018, la revue Geophysical Research Letters a rapporté que le taux de mercure naturel retenu pour le moment par le pergélisol de l’Arctique était dix fois supérieur à la quantité de mercure produite par l’homme ces trente dernières années. Si les quantités de méthylmercure inhalées dépassent un certain seuil et une certaine concentration, la fonte du pergélisol pourrait avoir des effets létaux pour toutes les espèces vivantes.

Ce que l’on ignore, pour l’instant, c’est la quantité de mercure susceptible d’être relâchée dans l’atmosphère avec la fonte du pergélisol. Quand celui-ci commence à fondre, les plantes sortent du sol et absorbent le mercure. Les micro-organismes responsables de la décomposition des plantes libèrent ensuite une certaine quantité de méthylmercure, lequel se propagera ensuite dans l’eau ou l’air avant d’atteindre les animaux. Déterminer l’importance des risques est un vrai problème. Au rythme de réchauffement actuel, les experts estiment que 30 à 90 % du pergélisol sera dégelé d’ici à 2100.

Autre menace : la fonte du pergélisol libère des bactéries et des virus oubliés ou inconnus. Des décès dans les troupeaux de rennes sibériens ont été provoqués par la « maladie du charbon » (ou anthrax, intoxication d’origine infectieuse due à la bactérie Bacillus anthracis). En août 2016, un garçon de 12 ans vivant dans la toundra sibérienne a été évacué d’une zone épidémique d’anthrax. Il est mort à l’hôpital de Salekhard, capitale du district autonome de Iamalo-Nénétsie, alors que vingt autres personnes avaient contracté cette maladie. L’infection a ainsi refait surface en Sibérie occidentale après 75 ans d’absence. Des études épidémiologiques suggèrent un rôle de la fonte du pergélisol dans le relargage des bactéries à partir de troupeaux de rennes (1,5 million d’animaux) décimés par la maladie entre 1897 et 1925 en Sibérie. Il est donc très probable que les vagues de chaleur actuelles entraînent un relargage des spores d’anthrax à partir de ces zones d’enfouissement. Les experts mondiaux qui scrutent les zones péri-arctiques particulièrement touchées par le réchauffement estiment plausible une augmentation spectaculaire de l’incidence d’autres maladies infectieuses de type zoonoses bactériennes et virales.

Emmanuel Drouet est microbiologiste à la faculté de pharmacie de Grenoble


(1) Sous sa forme organique, le mercure est un métal se comportant comme un neurotoxique. Chez les enfants, il peut nuire au bon développement du cerveau, affecter la mémoire, les capacités langagières et même les aptitudes motrices et visuelles. Chez les adultes, des quantités excessives de mercure peuvent entraver la vision, la parole et les mouvements musculaires, compromettre le système immunitaire et causer de graves problèmes cardiovasculaires. C’est pourquoi il est conseillé aux enfants et aux femmes enceintes d’éviter de manger du thon ou d’autres poissons dont la durée de vie est longue, comme l’espadon.


www.nationalgeographic.fr/environnement/mesure-que-larctique-fond-des-tonnes-de-mercure-sont-liberees-dans-latmosphere

www.encyclopedie-environnement.org/sante/changement-climatique-effets-sante-de-lhomme/

www.encyclopedie-environnement.org/sante/mercure-poisson-chercheurs-or/

Publié dans
Le temps du climat
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