Le « miracle » portugais

Le gouvernement a redressé le pays à rebours des préconisations de Bruxelles. Mais au prix d’options critiquées.

Patrick Piro  • 24 avril 2019 abonnés
Le « miracle » portugais
© photo : Le socialiste António Costa a augmenté le salaire minimum et les petites retraites.crédit : Dominika Zarzycka/NurPhoto/AFP

Déficit budgétaire, chômage, croissance… À la lecture des tableaux de bord macro-économiques, le Portugal non seulement revient de loin mais fait désormais mieux que plusieurs de ses voisins. En 2015, quand le socialiste António Costa arrive au pouvoir, les électeurs viennent de sanctionner le gouvernement de droite, qui a accepté une cure d’austérité équivalente en rudesse aux mesures imaginées par l’UE pour la Grèce. Le pays est au bord de la banqueroute et, en contrepartie d’un plan d’aide de 78 milliards d’euros, c’est une troïka – Banque centrale européenne, Commission européenne et FMI – qui dicte la feuille de route : flexibilisation du droit du travail, horaires accrus sans augmentation de salaire, retraites réduites, taxes et impôts en hausse, recul des dépenses publiques et privatisations, y compris dans la santé ou l’éducation. Près de 400 000 personnes émigreront, dont de nombreux jeunes, un exode de l’ampleur de celui qu’a connu le pays dans les années 1960.

En 2019, le gouvernement d’António Costa affiche une insolente réussite : le taux de chômage est de 6,7 %, contre 17,5 % en 2013, le salaire minimum est passé de 565 euros à 700 euros sur la même période (soit un gain de près de 24 %), la croissance a atteint 2,2 % en 2018 (mieux que l’Allemagne et la France). Une réussite souvent qualifiée de « miracle ». Non seulement par la rapidité du redressement, mais aussi par la méthode employée : Costa a pris des chemins de traverse, tournant le dos aux mesures d’austérité préconisées par Bruxelles. Au lieu de privilégier l’« assainissement » des comptes publics, le gouvernement a augmenté le salaire minimum et les retraites les plus basses, réduit la pression fiscale sur les salaires, allégé les heures de travail. La situation générale de la population s’est sensiblement améliorée, sous l’effet combiné des marges de manœuvre retrouvées par l’État après l’amère médication administrée par la troïka, de la hausse du pouvoir d’achat et de l’embellie économique au sein de l’Europe, destination première des exportations portugaises.

« Néanmoins, à part au cours de son premier exercice budgétaire, qui a donné lieu à un bras de fer avec Bruxelles, le gouvernement a scrupuleusement respecté les traités de l’Union et n’a même jamais tenté d’en tester les limites », souligne José Caldas, chercheur au Centre d’études sociales de l’université de Coimbra. Fin 2015, le déficit budgétaire atteint 4,4 % du PIB, en flagrante infraction avec le plafond de 3 %, règle budgétaire majeure de l’UE. Costa négocie alors un délai d’une année pour revenir dans les clous. Fin 2016, le déficit était retombé à 2 %. Il est évalué à 0,6 % pour 2018. Et la dette publique externe se résorbe lentement : elle pourrait tomber à 122 % du PIB, contre 133 % à l’arrivée de Costa.

Le petit pays ferait-il la leçon aux grands défenseurs du dogme libéral ? Difficile d’aller jusque-là. De fait, Bruxelles a assoupli son credo austéritaire depuis 2016. L’OCDE et même le FMI ont salué la réussite globale du Portugal, qui, sous des dehors sociaux qui tranchent au sein de l’Union, est loin d’être jugée subversive, présentée même comme compatible avec la doxa libérale. « En guise de “miracle”, il ne s’agit guère que de la récupération d’un pouvoir d’achat qui avait été considérablement dégradé. Les salaires ont à peine retrouvé leur niveau de 2000 », tempère volontiers José Caldas. Le salaire minimum portugais reste le plus bas d’Europe occidentale. La grogne sociale est quasi permanente, les moyens manquent pour les services publics, les professions de santé et les enseignants réclament la compensation totale des pertes de pouvoir d’achat qui leur ont été imposées.

« Et puis le recul du chômage découle largement de la création de boulots précaires », poursuit José Caldas. Ainsi, parmi les leviers actionnés par Costa, le tourisme. Le Portugal a ouvert grand ses portes, facilitant également l’installation d’étrangers à fort pouvoir d’achat. « La structure des offres n’a pas évolué, ce sont des emplois volatils, à faible valeur ajoutée. Sans compter l’impact négatif sur la vie des urbains. » Ainsi, la spéculation immobilière, sous la pression de la demande touristique, a rendu les centres-villes inaccessibles à la moyenne des locaux. Quant au scrutin européen, il fait l’objet d’un désintérêt poli dans l’opinion. « Les socialistes devraient capitaliser sur leurs résultats de bon élève de l’Union », indique José Caldas. Les traités ? « Il n’y a aucun débat à leur sujet. »


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