Les gilets jaunes se mettent au vert

Réunis en « assemblée des assemblées » à Saint-Nazaire, 700 participants ont travaillé à relier les urgences climatique et sociale, et à promouvoir des alternatives aux logiques ultralibérales.

Chloé Richard  • 9 avril 2019 abonné·es
Les gilets jaunes se mettent au vert
photo : Un appel à la mobilisation pour la période des élections européennes a été lancé.
© Chloé Richard

N e stationnez pas dans ­l’allée ! » « Oh non, pas un blocage ! » L’ambiance est à la rigolade à la Maison du peuple, un peu avant le début de la troisième assemblée plénière du week-end, ce samedi 6 avril. La salle est comble. « On a dû prévoir un chapiteau à l’extérieur, où on retransmet la plénière en direct », confie une participante. Au portillon aussi, ça se bouscule. « On n’a pas eu le droit d’entrer, car c’était complet quand on a voulu s’inscrire », déclare ce gilet jaune de l’« agrégat de Paris », qui a quand même fait la route jusqu’à Saint-Nazaire dans l’espoir de dégoter une place.

Lyon, Brest, Auxerre, Noisy-le-Sec, ­Grenoble… Le mauvais temps n’a pas démotivé les 700 délégués locaux et observateurs, venus de toute la France. Pendant tout le week-end, ils ont échangé et débattu dans ­différents ateliers (communication, répression, environnement, stratégie à court terme…), auxquels la presse n’était pas conviée. « Chaque groupe local essaye de venir à deux délégués et deux observateurs », précise Warren, 23 ans, étudiant à Lyon. Leur but : présenter les idées et les propositions de leurs groupes pendant les ateliers, puis lister celles qui seront exposées pendant les plénières et parfois votées de façon consultative. « Ensuite, on doit relater à nos groupes locaux ce qui a été dit pendant le week-end et voir si cela fait consensus ou non. »

Depuis le 17 novembre, le mouvement des gilets jaunes a bien évolué. « On se rend compte que c’est un système global auquel on s’oppose. » Beatriz est enseignante, elle est venue de Provins, en Seine-et-Marne. Pour elle, la convergence des luttes est une évidence. « Un cortège de chaque côté, c’est stupide. Il faut prendre le mal à l’origine, le capitalisme, et puis converger. » Militant de longue date, Jean-Yves, retraité qui a connu Mai 68, voit dans le mouvement « quelque chose d’innovant. Mais il y a des a priori chez chacun ». Pour lui, « certains gilets jaunes veulent rester “purs et durs”, et les écolos, parfois, pensent être les seuls à avoir analysé la situation ».

Pourtant, parmi les ateliers, s’est constitué un groupe environnement, qui propose un texte en direction des jeunes qui font les marches pour le climat. « Et on voudrait mettre un paragraphe sur la nécessité de convergence dans un texte d’ensemble des gilets jaunes, en faisant le lien entre problèmes environnementaux et sociaux », précise Gianni, 67 ans, délégué pour Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), qui a participé à l’atelier sur l’écologie. « Les participants ont compris qu’il fallait trouver un terrain d’entente avec les milieux écolos. Certains mettaient l’accent sur la question du climat, d’autres sur des groupes assez vifs comme Greenpeace. »

© Politis

Des zadistes – Notre-Dame-des-Landes est à cinquante kilomètres – tiennent quelques stands pour ravitailler les gilets entre deux réunions et, surtout, pour les soutenir, eux qui n’ont reçu aucune aide de la mairie. « On a bloqué la route nous-mêmes, pour ne pas qu’il y ait de problème avec le passage de voitures. La police et les RG [renseignements généraux] nous ont laissés faire. Ils stationnent juste à chaque extrémité », précise Céline, qui a participé à l’organisation. Certains arborent un coquelicot sur leur veste, symbole du mouvement de lutte contre les pesticides « Nous voulons des coquelicots ». D’autres affirment participer également aux marches pour le climat ou avoir un long passé de militant écolo, notamment depuis Mai 68.

« Il y a urgence climatique mais aussi sociale ! » scande une militante pour le climat depuis l’estrade. Le public enchaîne et se met à chanter « Emmanuel Macron, on vient te chercher chez toi ! » Quelques militants du GIGNV (Groupe d’intervention des grenouilles non-violentes), arborant un tee-shirt d’Action non-violente-COP 21, sont venus s’exprimer durant la troisième plénière de samedi. « La répression est la seule réponse du gouvernement », ajoute la militante. Le public applaudit. À Nantes, près de Saint-Nazaire, « on a déjà planté des arbres sur les ronds-points de la République avec les gilets jaunes, le 27 janvier », précise Christina, du GIGNV. « On se tourne forcément vers la convergence. À Nantes, en tout cas, on est en train de rassembler toutes les associations militantes pour un objectif commun. On parle d’urgence climatique, oui, mais aussi sociale. C’est ce vers quoi on tend le plus et vers où tout le monde veut aller. » « On partage nos expériences locales et on voit ce qui a marché ou pas », souligne Mikaël, délégué du Mans, gilet jaune depuis le début et qui n’avait jamais milité auparavant. « Chez nous, on a déjà convergé quelques fois avec les militants écolos, on est passés de 300 à 2 500 personnes à un moment. »

L’« assemblée des assemblées » (ADA) et sa définition ont fortement dominé les plénières du week-end. Dès le début des débats, samedi après-midi, la question de la convergence des luttes a été abordée : « Il est nécessaire de renforcer la coordination au niveau national. Une AG des AG est envisagée une fois par mois, en trouvant comment maintenir les liens entre deux assemblées, et ce, il est important de le souligner, sans leader », souligne le rapporteur.

Pour l’atelier « stratégie à court terme », « il faut remobiliser et aller vers la convergence. Pendant trois semaines, on va vers les gens, on propose des alternatives telles que des jardins partagés ou des marchés citoyens pour contrer la grande distribution. La semaine suivante, la semaine jaune, on converge vers une cible commune ». Suivent d’autres plans d’action qui s’étendent sur plusieurs mois, notamment la proposition d’être présents au G7 à Biarritz en août, voire au G7-environnement de Metz les 5 et 6 mai. D’après Ouest-France, environ 70 gilets jaunes ont d’ailleurs manifesté pendant le week-end à Saint-Malo, où s’est tenue une réunion préparatoire des ministres des Affaires étrangères du G7.

Samedi, ils étaient 22 300 gilets jaunes, selon le ministère de l’Intérieur, à manifester dans les rues du pays, le chiffre le plus faible depuis le début du mouvement. Pour l’acte 1, le 17 novembre 2018, ils étaient 282 000 participants. Avec l’ADA de Saint-Nazaire, les gilets jaunes veulent avant tout « remobiliser ». « On croyait qu’on était partis pour un sprint, et en fait on était partis pour un marathon. Il faut se préparer pour ça ! » lâche un des intervenants, micro à la main, dans la salle de la Maison du peuple.

Des actions sont prévues jusqu’à l’automne. La motivation sort renforcée de cette ADA. Les gilets comptent répondre à l’appel de la Ligue des droits de l’homme et d’autres associations à manifester le 13 avril pour les libertés publiques et le droit de manifester, ou encore le 1er Mai. « Il y a aussi les enseignants qui sont en grève contre la loi Blanquer, il faudrait les soutenir », lâche une participante.

Pour les élections européennes du 26 mai, des actions sont aussi à prévoir. Au début, il a été proposé de boycotter le scrutin. Mais les participants s’y sont directement opposés. Nadège, déléguée pour Pantin (Seine-Saint-Denis), a débattu dans l’atelier consacré aux européennes. « On est tous d’accord pour dire que l’Union européenne, aujourd’hui, ne répond pas à nos revendications. Elle n’est aucunement démocratique et promeut un système économique néolibéral avec des traités comme celui de Lisbonne. »

Un appel à l’action et à la mobilisation pour la période des élections européennes a été lancé le 8 avril, qui affirme : « À l’inverse du modèle actuel, les gilets jaunes portent un modèle de démocratie directe, dans lequel l’intérêt général prime sur les intérêts particuliers. » Il propose d’organiser « une campagne d’information et de sensibilisation contre les institutions européennes et leur politique libérale » et de mener des actions locales, avec un « carnaval, un vote parallèle dans des cercueils jaunes, une présence le jour du vote le 26 mai »… « Mais nous restons pro-Europe, dans le sens où nous ne sommes pas contre les peuples d’Europe », souligne Nadège. L’appel invite les gilets jaunes de Belgique à « coorganiser une convergence de tous les peuples à Bruxelles ». À Strasbourg aussi, il est déjà prévu de manifester le 27 avril. Un délégué de l’Est précise : « L’Allemagne et la Belgique sont déjà mobilisées. »

Lundi 8 avril, après le week-end de Saint-Nazaire, les gilets jaunes ont finalement lancé un « appel à la convergence écologique » explicite : « Les gilets jaunes invitent toutes les personnes voulant mettre fin à l’accaparement du vivant à assumer une conflictualité avec le système actuel, pour créer ensemble, par tous les moyens nécessaires, un nouveau mouvement social écologique et populaire. L’indignation ne suffit plus, passons à l’action. »

Société
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