« Principe d’innovation » contre principe de précaution
Le lobby des industries les plus sales combat pied à pied toute norme environnementale plus stricte.
dans l’hebdo N° 1548 Acheter ce numéro
Les industries à hauts risques sanitaires et environnementaux espèrent contourner des réglementations européennes déjà complaisantes en faisant entrer dans les textes un « principe d’innovation ». L’European Risk Forum (ERF), lobby pour les industries les plus sales, combat pied à pied toutes les tentatives de la Commission européenne et surtout du Parlement pour instaurer des normes environnementales plus strictes. Une de ses dernières trouvailles est le « principe d’innovation », qui stipule qu’« à chaque fois qu’une législation est considérée, son impact sur l’innovation devrait être évalué et la question être abordée (1) ». Traduction du jargon bruxellois : si l’innovation en question permet d’accroître les profits des firmes européennes et participe à la compétitivité de la zone euro, l’Europe doit accepter de restreindre ses prétentions sanitaires et environnementales au profit de l’« innovation ».
Les secteurs « de la chimie, de la “nouvelle nourriture”, des pesticides, des “nanoproduits” et de la pharmacie, entre autres », sont au front pour faire autoriser OGM, nouveaux poisons, viande « cellulaire » et nanotechnologies. Ce « principe » n’a pourtant pas de fondement légal : il n’a pas été voté au Parlement, il n’y a pas eu de débat démocratique à son propos. Comme le dit un avocat cité par le Corporate Europe Observatory (CEO) : « C’est le produit d’un lobby formulé par un think tank et principalement promu par les firmes qui financent ce think tank » (tels Chevron, BASF, Bayer-Monsanto et leurs collègues). Selon le CEO, à force de mentions et de reprises par le Conseil européen, ce « principe » est destiné à figurer dans Horizon 2021-2027, texte qui définit les priorités scientifiques et techniques de l’Europe pour les années à venir. Les grandes firmes auront un levier supplémentaire pour peser sur les lois et réglementations européennes dès leur élaboration. Les promoteurs de la croissance et de l’efficacité économique pourront opposer les nécessités de l’innovation, nulle part précisément définie, au principe de précaution et aux autres exigences environnementales et sociales défendus en même temps par les institutions européennes. Les citoyens apprécieront.
Les solutions high-tech ont jusqu’à présent contribué à mener la planète et les êtres qui y vivent à une crise majeure (2). L’innovation, technique, sociale ou politique, est au cœur du régime de capitalisme industriel et, comme telle, en partie responsable de la dégradation écologique et de l’instabilité sociale. Les nouvelles sciences et techniques continuent pourtant d’être adoptées de plus en plus largement et de plus en plus vite, sans même qu’un temps de réflexion ait été pris. À la veille d’élections importantes, les objectifs à courte vue des institutions européennes ne sont pas de nature à enthousiasmer les foules…
(1) On peut trouver une bonne analyse du « principe d’innovation » et des étapes du lobbying pour son adoption par les instances européennes dans un article du Corporate Europe Observatory, « The “innovation principle” trap », 5 décembre 2018, https://corporateeurope.org/environment/2018/12/innovation-principle-trap
(2) Lire par exemple L’Âge des low tech, Philippe Bihouix, Seuil, 2014.
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.