« Satanisme et écoresponsabilité », de Loïc Sécheresse : écologie et damnation
Satanisme et écoresponsabilité, de Loïc Sécheresse, décliné en série sur Internet, raconte la croisade écolo d’un Satan récemment converti.
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Tout a démarré par un coup de gueule contre les trottinettes électriques. « Je les ai découvertes à Paris et j’ai passé l’intégralité du séjour à pester contre ces aberrations écologiques », se souvient Loïc Sécheresse. Alors, pour ne pas passer (seulement) pour un vieux grincheux, l’auteur de BD griffonne. De retour à Nantes, où il réside, il publie sur Instagram une dizaine de cases dans lesquelles il fait le procès de ces engins à roulettes. « La trottinette électrique, c’est de la merde ! » hurle Satan, entouré de flammes, avant de conclure : « Pervertir l’humanité, OK, ça me va, mais bousiller la planète, non ! »
Postée en octobre 2018, la planche fait son petit effet et incite son auteur à réfléchir plus avant : « Satan, c’était le héros évident d’une croisade écologiste », explique Loïc Sécheresse, qui n’en est pas à son coup d’essai quand il s’agit de dessiner les enfers. N’est-il pas l’auteur d’Au bonheur des âmes (1) et d’Hécate et Belzébuth (2) ? « J’ai été enfant de chœur jusqu’à 13 ans et j’avais une peur terrible de l’enfer », raconte-t-il.
L’idée germe alors de faire de ces quelques cases une histoire plus construite, plus aboutie. Plus politique, aussi. « L’écologie, c’est quelque chose de spirituel, ça en dit long sur son rapport aux autres et à soi-même », explique Loïc Sécheresse, qui se heurte rapidement aux limites d’Instagram. « Au bout de dix, quinze histoires, j’ai eu envie d’en faire plus. » Il démarche alors les éditeurs. Mais ses aventures de Satan, dessinées au crayon de couleur et au stylo, sont jugées trop proches du dessin de presse.
Il est vrai qu’on est loin des œuvres auxquelles l’auteur nous avait habitués. Sa dernière bande dessinée, écrite avec Annaïg Plassard et retraçant la légende de la ville engloutie d’Ys (3), est illustrée à l’encre de Chine. Les traits, au pinceau, sont allongés, les couleurs travaillées et les graphismes épurés. « C’est plus simple d’avancer avec la cavalerie légère », explique celui qui croque sur un coin de table les dessins de Satanisme et écoresponsabilité. C’est finalement chez Dupuis qu’il a trouvé preneur. Et depuis le 8 avril, chaque lundi, à 6 heures 6 minutes et 6 secondes (!), un nouvel épisode de la série est diffusé sur la plateforme de BD numérique Webtoon Factory.
De nouveaux personnages viennent rejoindre Satan : Belzébuth, directeur logistique des enfers et accro aux objets dernier cri sur Amazon ; deux goélands qui ont renoncé à manger du poisson pour se tourner vers les paquets de chips abandonnés dans la nature ; deux militantes écologistes radicalisées qui incendient les 4 × 4 et autres SUV… Même si leur combustion relâche, au grand dam de Satan, du CO2 dans l’atmosphère.
« Personne n’est exempt d’angle mort en matière d’écologie », résume Loïc Sécheresse. La série met en lumière toutes nos ambivalences sur la question. À commencer par celles des plus fidèles adeptes du diable, les fans de heavy metal. Dans le premier épisode, il apparaît en plein concert pour les prévenir : « Je tiens à ce que ma fan-base soit exemplaire », avant de leur faire remarquer : « Vous vous rendez compte de la consommation électrique de vos concerts ? » L’auteur n’est pas non plus tendre avec les politiques, et croque un ministre de l’Écologie qui ressemble à s’y méprendre à l’actuel ministre français.
Satanisme et écoresponsabilité s’inspire également de scènes vécues. En témoigne un épisode où Satan doit faire face au soulèvement d’une des marmites de l’enfer. En opposition à l’autorité diabolique, les damnés organisent une marmite autogérée, produisant eux-mêmes l’énergie pour se « faire cuire pour l’éternité ». Un clin d’œil à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, qui jouxte l’atelier de Loïc Sécheresse.
Non sans humour, ce sont nos modes de vie qui sont épinglés : des terrasses chauffées aux enfouissements de déchets nucléaires en passant par l’extinction de la biodiversité ou la malbouffe. Le seigneur des Ténèbres, qui se targue d’avoir « inventé le capitalisme » mais qui « aime les oiseaux et les petites fleurs », est là pour nous rappeler la terrible vérité : si l’on ne fait rien pour préserver la planète, l’enfer sera ici, sur terre.
Satanisme et écoresponsabilité, en ligne tous les lundis sur webtoonfactory.com
(1) Danger public, 2006.
(2) Avec Stéphane Melchior, Manolosanctis, 2011.
(3) Ys, Delcourt/Mirage, 2018.