Va-t-on importer du gaz de schiste ?
Si la fracturation hydraulique est interdite en France, les hydrocarbures ainsi produits aux États-Unis ont le droit d’y pénétrer. Avec l’aval de l’Europe et des pouvoirs publics, la première livraison a eu lieu le 5 avril en Bretagne.
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En obtenant l’interdiction de la fracturation hydraulique en 2011, les collectifs citoyens contre les hydrocarbures de schiste ont écarté leur exploitation sur le territoire national. Mais pas son importation. Sous l’impulsion des multinationales françaises, encouragées par la Commission européenne et les pouvoirs publics, le gaz de schiste américain, à l’impact écologique, sanitaire et climatique désastreux, arrive en France.
Information révélée par l’Observatoire des multinationales (1), le méthanier Oak Spirit, sous pavillon des Bahamas, a accosté le 5 avril au port de Montoir-de-Bretagne, près de Nantes, débarquant l’une des toutes premières livraisons de gaz de schiste états-unien. Selon les données rendues publiques par l’agence américaine d’information sur l’énergie, les exportations de gaz des États-Unis vers la France ont débuté en octobre 2018, et en 2017 pour d’autres pays européens.
Comment s’assurer qu’il s’agit de gaz de schiste ? Rien ne permet de distinguer une molécule de méthane extraite de manière conventionnelle d’une molécule tirée d’une couche de schiste. La provenance du méthanier constitue néanmoins une indication. Le Oak Spirit arrive de Sabine Pass, terminal méthanier situé à la frontière entre la Louisiane et le Texas, où converge une part importante du gaz de schiste produit aux États-Unis.
Longtemps importateurs, les États-Unis sont devenus exportateurs à la suite du boom du gaz de schiste et grâce à la conversion de leurs ports méthaniers (nouveaux gazoducs, construction d’usines de liquéfaction, etc.). Sabine Pass, détenu par l’entreprise Cheniere, est l’un des premiers ports opérationnels. Il sera suivi par de nombreux autres (Corpus Christi, Rio Grande, etc.) (2).
Secret commercial oblige, on ne connaît pas précisément les entreprises destinataires du gaz naturel liquéfié (GNL) livré à Montoir. On se souvient néanmoins que les contrats signés, juste avant la COP 21, par Engie et EDF avec Cheniere avaient défrayé la chronique. Face à la polémique, Ségolène Royal avait alors reconnu qu’au moins 40 % de ce gaz était issu de la fracturation hydraulique et annoncé vouloir « interdire l’importation de gaz de schiste en France ».
Il n’en a rien été. Interdire l’importation de gaz de schiste nécessiterait d’interdire tout commerce de gaz avec les pays qui en exploitent ou le distribuent, puisque rien ne permet de distinguer et de séparer les différentes molécules de méthane. Une telle proposition, légitime et justifiée au nom de l’impératif climatique, écologique et sanitaire, se heurte frontalement aux règles qui régissent le commerce international.
Pouvant être jugée comme une restriction discriminatoire au commerce international, une telle interdiction serait sous le coup d’une condamnation devant l’OMC ou un tribunal d’arbitrage privé : puisque la consommation de GNL américain sur le territoire européen ne générerait pas plus de pollution que du GNL d’un pays tiers, une telle interdiction pourrait être jugée comme injustifiée et conduire à une sanction et à des mesures de rétorsion. Sauf à changer les règles internationales du commerce et de l’investissement.
Une interdiction d’importation n’est de toute façon pas à l’ordre du jour. Pour tenter d’amadouer Donald Trump, la Commission européenne s’est en effet engagée à accélérer l’importation de gaz américain. Depuis le 25 juillet 2018, date d’une déclaration conjointe États-Unis-UE prenant notamment cet engagement, les importations de GNL ont augmenté de 181 %, faisant des États-Unis le troisième fournisseur de l’UE en 2019 (12,6 %). L’Europe souhaite désormais obtenir une « simplification des règles américaines pour que le GNL américain puisse être exporté en plus grandes quantités vers l’UE (3) ».
C’est l’un des objectifs cachés des négociations commerciales qui pourraient s’ouvrir entre les États-Unis et l’UE (4), alors que Donald Trump menace désormais d’augmenter les droits de douane sur les voitures européennes. Qu’importe que la consommation de gaz en Europe stagne, qu’importe que l’abondance de gaz sur les marchés soit à l’origine d’une explosion de la production de plastique (5), qu’importe qu’Emmanuel Macron ait pris l’engagement de « ne plus signer d’accords commerciaux avec les puissances qui ne respectent pas l’accord de Paris », l’UE et ses États membres veulent nous rendre dépendants du gaz de schiste américain et du bon vouloir de Donald Trump.
Maxime Combes / Économiste, membre d’Attac
À lire : Maxime Combes, Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Seuil, 2015. Voir aussi son blog « Sortons de l’âge des fossiles ! »
(1) « Alors qu’une nouvelle cargaison arrive en France, Total mise gros sur l’exportation de gaz de schiste américain », Observatoire des multinationales, 5 avril 2019.
(2) La Société générale est d’ailleurs l’une des banques les plus impliquées dans le financement d’infrastructures d’exportation du gaz naturel liquéfié en Amérique du Nord : « Société générale, plein gaz sur les fossiles », les Amis de la terre, mars 2018.
(3) « Déclaration conjointe UE-États-Unis : les importations de gaz naturel liquéfié (GNL) américain vers l’Union européenne continuent de croître (hausse de 181 %) » Commission européenne, 8 mars 2019.
(4) « Nous appelons Emmanuel Macron à rejeter toutes négociations commerciales avec Donald Trump », 21 mars 2019, Politis.fr
(5) « Les liens étroits et méconnus entre le gaz de schiste et l’explosion des déchets plastiques », Observatoire des multinationales, 11 septembre 2018.