Camus journaliste
L’auteur de L’Étranger fut aussi beaucoup un homme de presse. Maria Santos-Sainz retrace ce pan minoré de son œuvre et de ses engagements.
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Dans L’Algérie en 1957, livre qu’elle publia aux éditions de Minuit après une mission d’observation en 1955-1956, et dont Albert Camus préfaça la traduction aux États-Unis, Germaine Tillion constatait « la clochardisation de la population algérienne », notamment dans l’Aurès, en comparaison avec la situation économique de cette région qu’elle avait étudiée vingt ans plus tôt en tant qu’ethnologue. Français d’Algérie, Camus a observé la même et terrible évolution économique et sociale, notamment en Kabylie, dont il a décrit en 1939, comme reporter au quotidien Alger républicain (de tendance socialiste), la « misère », touchant en particulier la population indigène. En mai 1945, des émeutes éclatent, notamment à Sétif et à Guelma, où est brandi le futur drapeau national algérien. S’ensuit une répression brutale de la part de l’armée française, secondée par des groupes de colons armés, qui fait des dizaines de milliers de victimes indigènes.
C’est au lendemain de ces événements tragiques que l’auteur de L’Étranger retourne en Algérie et réalise une seconde série de reportages (1). Camus dirige alors Combat, où ses éditoriaux sont extrêmement lus depuis que le journal, au départ organe du groupe résistant éponyme, est sorti de la clandestinité à la libération de Paris, fin août 1944. Tout en travaillant le jour chez Gallimard durant l’Occupation, l’écrivain avait renoué avec son activité de journaliste, pratiquée avant-guerre à Alger avant que son journal ne soit interdit par les autorités vichyssoises dès 1940 et que celles-ci ne l’empêchent de retrouver un emploi, l’obligeant à partir à Paris.
Enseignante à l’Institut de journalisme de Bordeaux, membre de la Société des études camusiennes, Maria Santos-Sainz s’est concentrée sur l’activité de journaliste de Camus, généralement minorée dans les études ou biographies (2). La chercheuse en montre quant à elle toute l’importance, aussi bien pour la formation de son écriture et de son style que pour son exigence d’objectivité. Véritable « modèle » pour le fondateur de Mediapart, Edwy Plenel (qui préface l’ouvrage), Camus, « journaliste d’idées », a livré sa conception du métier dans un éditorial fameux du 31 août 1944 : « Si nous faisons que cette voix demeure celle de l’énergie plutôt que de la haine, de la fière objectivité et non de la rhétorique, de l’humanité plutôt que de la médiocrité, alors beaucoup de choses seront sauvées et nous n’aurons pas démérité. »
Maria Santos-Sainz retrace ses engagements successifs, jusqu’à ses chroniques dans L’Express de 1955 à 1957 lorsque, Prix Nobel de littérature, Camus fait ses adieux au journalisme. Elle souligne combien sa vie de « journaliste engagé » a façonné son regard sur la société, enraciné son « devoir de témoigner » des injustices et des humiliations, et surtout nourri son rapport au monde. Jusqu’à parfaire une « adéquation entre œuvre et existence ».
Albert Camus, journaliste. Reporter à Alger, éditorialiste à Paris Maria Santos-Sainz, éd. Apogée, 300 pages, 20 euros.
(1) L’ensemble de ces reportages, augmentés de ses textes d’interventions durant la guerre d’Algérie, sont rassemblés dans Chroniques algériennes (1939-1958), qui constituent le tome 3 des recueils de ses textes épars, Actuelles (Gallimard-Folio).
(2) Les articles de Camus à Combat ont toutefois été regroupés dans un volume, présentés et annotés par Jacqueline Lévi-Valensi : À Combat. Éditoriaux et articles (1944-1947), Gallimard, 2002 ; Folio, 2013.