Comment New Look a préparé sa propre faillite

Le groupe britannique d’habillement a bombardé sa filiale française de factures, en modifiant ses « prix de transfert » avec l’aide du cabinet financier Deloitte.

Erwan Manac'h  • 20 mai 2019
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Comment New Look a préparé sa propre faillite
© Photo : Chris J Ratcliffe / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images/AFP

Ce n’est plus qu’une question de temps, New Look va fermer ses 30 magasins français et ses 415 salariés devraient, dans une écrasante majorité, subir un licenciement économique. Mais la lumière est progressivement en train de se faire sur les méthodes particulièrement brutales déployées par le groupe britannique d’habillement pour réagir à la crise qu’il affronte depuis 2014.

Grâce aux informations financières mises à jour dans le cadre de la recherche de repreneurs, ordonnée par le tribunal de commerce en mars, il est désormais certain que la direction anglaise de New Look a brusquement augmenté en 2018 les prix de transfert qu’elle facture à sa propre filiale. Le résultat, visible sur les comptes 2018, est spectaculaire : une perte de rentabilité de 1745 % sur un an, alors que le chiffre d’affaires baissait la même année de 14 %.

New Look a décidé cet « ajustement », afin « d’arrêter de financer les pertes de ses filiales », résument les deux administrateurs judiciaires dans un rapport rendu le 10 mai. La chaîne fait en effet face à des difficultés importantes, connues par tout le prêt-à-porter d’entrée de gamme. Était-ce néanmoins à la filiale française d’éponger autant de pertes ?

Il est impossible de juger de l’état de santé de la branche française indépendamment de sa maison mère, car la comptabilité et la trésorerie sont gérées depuis Londres sans aucune transparence et c’est le siège britannique qui fixe le prix des vêtements et le contenu des rayons des magasins français. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que le fisc français a imposé un redressement fiscal à New Look en 2015 pour des prix de transfert anormaux au regard des standards internationaux.

Le rôle de Deloitte en question

Mais avec l’aide du cabinet financier Deloitte, appelé au chevet de la chaîne d’habillement en grande difficulté depuis quatre ans, New Look a décidé de réaugmenter ses prix de transfert, au nom d’une contribution aux services centraux, situés en Angleterre, dont bénéficient les magasins français. Rien n’indique que cette nouvelle interprétation ait été négociée ou validée avec le fisc français. Et les comptes de New Look, déposés en 2018, n’ont toujours pas été certifiés par un commissaire aux comptes, ce qui est pourtant obligatoire. « Ces points interrogent la nature du mandatement [et] le rôle de Deloitte dans l’articulation du projet et l’anticipation de la mise en redressement judiciaire », s’estomaque le cabinet d’expertise Alter, mandaté par le comité d’entreprise, dans un rapport intérimaire que Politis a pu consulter.

À lire aussi >> New Look : liquidation à l’anglaise

Pour ne rien arranger, les salariés viennent d’avoir confirmation que le fonds Brait, propriétaire de New Look, a cédé une partie du capital en échange d’une réduction de sa dette. Il ne possède plus que 18 % du groupe et vient de sortir du chapeau un nouveau montage juridique avec la dissolution de 23 des 31 filiales que comptait jusqu’à aujourd’hui la « poupée russe » juridique New Look.

Politis décrivait déjà début mai la « liquidation à l’anglaise »_, organisée secrètement par le groupe. Comment les salariés ont découvert les baux résiliés, les loyers impayés et les millions d’euros de dette accumulés, précipitant le placement de l’entreprise en redressement judiciaire. Comment, en Belgique, six magasins ont été fermés en quelques jours sans que les salariés n’aient pu l’anticiper. Ainsi que l’enchevêtrement de holdings passant par trois paradis fiscaux mis en place par New Look, comme autant de strates d’une opacité savamment entretenue.

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New Look a cessé de payer les loyers de plusieurs magasins, ainsi que des cotisations sociales et impôts, accumulant une dette de 8,4 millions d’euros. Conséquence directe, ce sont les deniers publics, et le fonds de garantie des salaires abondé par des cotisations patronales, qui payent désormais une partie des salaires des employés.

Le tribunal de commerce de Paris a prolongé, ce lundi 20 mai, la période d’observation ouverte pour la recherche de repreneurs. Pour l’heure, un seul des 30 magasins a suscité des marques d’intérêt, qui ne permettraient de sauver que 5 emplois sur 415 à l’échelle nationale. Les administrateurs judiciaires ont désormais jusqu’au 7 juin pour chercher d’autres repreneurs éventuels, mais la liquidation semble inévitable et, avec elle, le licenciement économique des salariés, qui pourrait, en cas d’insolvabilité de New Look France, être lui aussi financé par les deniers publics.

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