Emmanuel Macron, champion de la droite
LREM siphonne l’électorat LR, et installe Le Pen comme son opposant officiel. Tout en donnant des signes d’un pouvoir autoritaire.
dans l’hebdo N° 1555 Acheter ce numéro
Perdant mais tout de même gagnant. Emmanuel Macron a manqué son pari d’être en tête du scrutin du 26 mai. Au regard de son ambition électorale, le président, qui s’était personnellement impliqué jusqu’aux dernières heures de la campagne, enregistre bel et bien une défaite. « Quand on finit deuxième, on ne peut pas dire qu’on a gagné », a reconnu le Premier ministre, Édouard Philippe. Avant d’affirmer sa « détermination » à « poursuivre le projet du président et de la majorité », convaincu que celle-ci avait renforcé sa position en se maintenant, avec 22,4 %, à un niveau proche du premier tour de la présidentielle (24 %) quand les partis susceptibles de constituer une alternative étaient laminés.
D’une élection l’autre, la base électorale de La République en marche (LREM) a toutefois changé. Au premier tour de la présidentielle, l’électorat d’Emmanuel Macron venait plutôt de la gauche et des rangs du PS. Deux ans plus tard, bon nombre de ces derniers ont déserté et ont été remplacés par des électeurs traditionnels de la droite. « On peut évaluer à un million et demi les électeurs Macron du premier tour de la présidentielle qui se sont portés sur des listes de gauche ou celle d’EELV, estime le politologue Jérôme Jaffré dans Le Figaro (28 mai)_. Mais LREM a compensé en partie cette perte en récupérant un million d’électeurs de François Fillon. »_
À Paris, LREM recule dans des proportions plus ou moins grandes dans les arrondissements de gauche, mais progresse fortement dans les fiefs de la droite : elle perd 10 points dans les Xe (27 %) et XIe arrondissements (28,6 %) mais en gagne 16 dans le VIIIe (47,2 %) et même 20 dans le très droitier XVIe (46,1), deux arrondissements où Les Républicains (LR) décrochent entre 31 et 34 points ! Le même phénomène s’observe à Neuilly-sur-Seine : la liste LR ne rassemble plus que 25,6 % et est largement distancé par LREM (47,9 %) ; le 23 avril 2017, Fillon y recueillait 64,9 % des suffrages et Macron 23,7 %. Autant par adhésion à ses réformes – suppression de l’ISF, flat tax, réforme du code du travail… – que par peur du mouvement social inédit des gilets jaunes, les possédants ont trouvé leur champion.
Que le Rassemblement national arrive en tête, comme en 2014, n’affecte pas outre mesure Emmanuel Macron. Élu en 2017 pour faire barrage à l’extrême droite, il s’est employé depuis plus d’un an à la conforter dans le rôle d’opposition officielle, cyniquement convaincu que cet épouvantail reste sa meilleure alliée. En assurant que l’enjeu des européennes était la lutte entre le camp des « progressistes » – étiquette qu’il revendique abusivement – et celui des nationalistes, il a validé le clivage « mondialistes contre nationalistes » que Marine Le Pen donnait à la confrontation du second tour de la présidentielle, pour substituer de concert avec elle cette confrontation au clivage gauche-droite et étouffer les formations qui s’y réfèrent encore.
« Les anciens clivages ne sont plus », affirme avec satisfaction Édouard Philippe en notant que le PS et LR, qui ont gouverné alternativement la France pendant plus de trente-cinq ans (1981-2017), dépassent à peine les 15 % cumulés. Pris en tenaille entre LREM et le RN, qu’ont rejoint 15 % des électeurs de Fillon pour « battre Macron », le parti de Laurent Wauquiez s’est effondré à 8,5 %. Ce score, le pire de son histoire, ouvre une crise à droite qui, espèrent les dirigeants de LREM, pourraient conduire plusieurs maires LR comme Jean-Louis Moudenc (Toulouse) ou Christian Estrosi (Nice) à réclamer l’investiture de la majorité aux municipales de l’année prochaine. La recomposition engagée en 2017 n’est pas terminée.
Sans opposition forte, autre que celle de l’extrême droite, Emmanuel Macron n’entend pas changer de cap, et va même « intensifier l’acte 2 de son quinquennat », assure l’Élysée. Les réformes en cours, de la fonction publique notamment, ou annoncées (retraites) vont se poursuivre à un rythme accéléré. Lundi, l’Assemblée nationale examinait la réforme du règlement de l’Assemblée nationale proposée par Richard Ferrand (LREM) qui vise à museler un peu plus les oppositions au groupe ultra-majoritaire des macroniens. En limitant par exemple à cinq minutes le temps de parole de chaque groupe lors de la discussion générale d’un texte et le nombre d’amendements, en n’autorisant qu’un seul orateur par groupe sur chaque article, ou encore en encadrant des rappels au règlement. Tout cela au nom d’une conception de l’« efficacité », qui est l’apanage des régimes autoritaires.