La gauche a le vert en poupe

Les écologistes ont obtenu un résultat « historique » aux élections du 26 mai en Europe. Mais la vague brune et la lourde défaite de la gauche en général gâchent un peu la fête.

Agathe Mercante  • 29 mai 2019 abonnés
La gauche a le vert en poupe
© photo : Marine Tondelier, Mounir Satouri, Sandra Regol, Yannick Jadot et Damien Carême arrivent à la soirée électorale d’EELV, le 26 mai.crédit : STEPHANE DE SAKUTIN/AFP

Un petit pas pour les écologistes, un grand pas pour l’écologie politique ? Le 26 mai, l’Union européenne a vu déferler une petite vague verte sur ses États membres. Allemagne, France, Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique, Danemark, Finlande, Autriche, Suède, Irlande… Dans 15 pays sur 28, les partis verts et leurs alliés ont dépassé les 10 % de suffrages exprimés. Si les comptes restent encore à faire, le groupe Verts/ALE du Parlement européen devrait compter plus de 70 élus, contre 52 auparavant. En Allemagne, les Grünen ont même atteint 20,9 %, ils multiplient par deux leur résultat de 2014 et distancent les sociaux-démocrates. Des résultats qui réjouissent dans le climat actuel, mais que vient ternir une autre vague, brune celle-là. En France, la liste Europe Écologie-Les Verts menée par Yannick Jadot est certes arrivée troisième (13,4 %), mais loin derrière le Rassemblement national (23,3 %) et la droite libérale de La République en marche (22,4 %) (1). Un signal d’alarme qui pousse les cadres du parti écologiste à la gravité. « Ce score nous montre que la politique de Macron n’endigue pas la montée du RN et que, maintenant que toutes les autres options politiques se sont écroulées, il ne reste que nous », résume Julien Bayou, porte-parole d’EELV.

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Annoncés quatrièmes, à 9,5 %, derrière le RN, LREM et Les Républicains lors du dernier sondage avant vote (2), les écologistes ont créé la surprise et déjoué les pronostics, devançant la liste de François-Xavier Bellamy de 5 points et terrassant les autres partis de gauche. Une surprise qui s’explique par la hausse du taux de participation – 52,1 % en 2019, contre 42,4 % en 2014 –, mais aussi par une prise de conscience de l’urgence climatique, qui s’est imposée comme un sujet crucial pour l’électorat. Et la mobilisation des jeunes a fait le reste. La liste d’EELV a en effet raflé 28 % des votes des 25-34 ans, 25 % chez les 18-24 ans. Chez les seniors, en revanche, ils ne dépassent pas les 10 %… « C’est difficile, quand on a été élevé durant les Trente Glorieuses, de se défaire des paradigmes productivistes », analyse Julien Bayou.

Serrés dans un local de l’Est parisien, les écologistes, au soir du 26 mai, ont savouré cette victoire, inespérée en France et à l’échelle du continent. « C’est la première fois que le changement climatique joue un tel rôle dans une élection », s’est félicité, outre-Rhin, Robert Habeck, l’un des chefs de file des Grünen. De part et d’autre de la frontière, l’espoir est le même : peser sur la composition de la Commission européenne et, soyons fous, obtenir le rôle de « faiseurs de roi » dans la désignation de son président.

Stratégie gagnante

Manifestations des jeunes pour le climat, mouvement des « coquelicots », pétition « l’Affaire du siècle »… Les mobilisations en faveur de l’écologie politique ont été nombreuses, toujours suivies par les écologistes français. « Je voyais cette jeunesse révoltée, je trouvais ça émouvant, mais je me disais “ne t’emballe pas, ça ne vote pas”, et en fait si ! », raconte Julien Bayou. Une victoire, donc, que les écolos expliquent par une campagne honnête et cohérente. « On a cravaché dur sur une ligne que tout le monde donnait perdante », rappelle Sandra Regol, l’autre porte-parole d’EELV.

« En se battant exclusivement sur les questions écologiques, et en sortant EELV de son courant de gauche, Yannick Jadot a crédibilisé son parti », analyse Stéphane Rozès, président du cabinet de conseil CAP. De quoi rappeler à ceux qui le connaissent l’une des phrases fétiches du secrétaire national d’EELV et désormais eurodéputé David Cormand : « Les électeurs préféreront toujours l’original à la copie. » La copie, cette fois, ce sont les nombreuses listes françaises mâtinées de vert, plus (LFI, Génération·s) ou moins (LREM) sincères.

Ce résultat va jusqu’à désarçonner les plus critiques. « Yannick Jadot s’est très bien démerdé, moi je n’y croyais pas, donc chapeau ! », constate, beau joueur, l’ancien eurodéputé écologiste Daniel Cohn-Bendit, désormais « promu » au rang de conseiller du président de la République. « En effet, c’est un bon résultat, mais je suis dubitatif sur le fait que les élections européennes structurent durablement la politique française », note Sergio Coronado, ancien d’EELV passé sous pavillon insoumis. Car cette troisième place décrochée par les écologistes n’est pas une première : n’avaient-ils pas, en 2009, culminé à 16,3 %, à 35 000 voix du PS ? Leurs électeurs veulent pourtant croire le contraire. Face au dérèglement climatique et à l’effondrement de la biodiversité, cette fois, c’est différent. « Ce n’est pas la première fois que les écologistes font un bon résultat aux européennes. Mais jamais avec un tel niveau de participation », rappelle Marie Toussaint, eurodéputée entrante.

Les ego froissés de la gauche

Au-delà de l’envoi de davantage d’élus écologistes au Parlement européen, ces mêmes électeurs espèrent aussi faire passer un message aux partis au pouvoir : pour préserver la planète, il faut agir maintenant. « Partout en Europe, nos concitoyens, en particulier les plus jeunes, nous demandent d’agir avec détermination, c’est ce que nous ferons en France et en Europe », affirme le Premier ministre, Édouard Philippe. « Il y a une nouvelle génération qui est en train d’arriver, qui considère que l’écologie est la mère de tous les combats », a pour sa part tenté Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement.

Des déclarations à même de donner raison au directeur de recherche à Sciences Po Zaki Laïdi, qui affirme à l’AFP qu’EELV est désormais « une force politique avec laquelle Emmanuel Macron peut travailler » ? Pas sûr. Car il est difficile, pour le gouvernement LREM, de ne pas être accusé, à raison, de greenwashing : comment oublier les multiples renoncements sur l’interdiction des pesticides, l’absence d’investissements pour la rénovation énergétique, les forages, les coupes budgétaires, les inégalités territoriales ? Et les verts ont beau se tenir à l’écart des querelles qui secouent la gauche, ils ne s’y trompent pas. « Ce n’est pas une main tendue, c’est juste une manière de se raccrocher aux branches », dénonce Sandra Regol. Désormais troisièmes derrière l’extrême droite et la droite libérale, ils pourraient néanmoins avoir besoin de nouer des alliances – cette fois beaucoup plus crédibles – avec les forces de gauche. Ils auront fort à faire pour se joindre, à leur initiative ou non, à des rassemblements de gauche. Car là où les uns sourient, les autres font grise mine. Divisée pour aborder l’élection, la gauche française a été sévèrement battue. Sur les quatre principaux partis, seuls deux ont gagné leur ticket pour le Parlement. La France insoumise, créditée de 7,5 % des intentions de vote jusqu’à la veille du week-end électoral, n’en a récolté « que » 6,3 %, talonnée par le Parti socialiste et son nouvel ambassadeur Raphaël Glucksmann (6,2 %). Le mouvement de Benoît Hamon, Génération·s, échoue à atteindre la barre des 5 % (3,2 %), tout comme le PCF emmené par Ian Brossat (2,4 %).

À l’horizon de la gauche, qui ne cesse de chuter depuis l’élection d’Emmanuel Macron, se dessinent pourtant les élections municipales et le référendum sur la privatisation d’ADP, qu’elle compte bien remporter. Si les uns et les autres se disent disposés à discuter, les ego froissés mettront du temps à se remettre. « Il faudra structurer les rassemblements autour des questions démocratiques, de la crise climatique et de la question sociale », préconise Sergio Coronado. Mais la route est encore longue, et les écologistes, refroidis par leurs alliances d’antan avec les socialistes, sont durs à convaincre. « Vous pensez que les jeunes ont envie de reconstituer la gauche plurielle de 1997 ? », a raillé, lundi matin sur France Info, Yannick Jadot.


(1) Résultats officiels du ministère de l’Intérieur.

(2) Sondage Ipsos du 24 mai 2019.


La fin d’un bipartisme

En apparence, les déplacements qui affectent la composition du Parlement européen (751 sièges) ne sont pas spectaculaires. Pourtant, fait majeur, les urnes viennent de mettre fin à quarante ans d’hégémonie du binôme PPE (droite conservatrice, 180 sièges) et S&D (socio-démocrates, 146 sièges). Alliés sur les grandes orientations économiques, ces deux groupes perdent chacun plus de 40 sièges et ne peuvent plus prétendre à imposer une majorité absolue. La rupture de cet équilibre historique n’offre cependant pas de nouvelles marges de manœuvre significative côté gauche de l’hémicycle. Car les libéraux (ADLE), qui gagnent 42 sièges (109), appuient en général le binôme sur la ligne austéritaire pratiquée par l’Union depuis des années. En revanche, on peut attendre des changements plus significatifs sur les questions d’écologie, de santé et même de politique migratoire, terrain où l’ADLE vient plus fréquemment en appui du camp progressiste – S&D, gauche (GUE/NGL) ainsi que les Verts/ALE, qui gagnent 17 sièges (69).

L’impact de la poussée du bloc des trois groupes populistes eurosceptiques (171), où se retrouvent la droite très conservatrice, les partis d’extrême droite et les Italiens de Cinq Étoiles, se précisera bientôt. Si d’importantes divergences rendent hypothétique la constitution d’un groupe unique, ce pôle, le deuxième du Parlement en importance derrière le PPE, devrait peser collectivement sur certains dossiers (économie, migrations) et exercer un pouvoir de blocage inédit. À tout le moins, l’activisme potentiel de ces eurosceptiques pourraient susciter contre eux la création de majorités « républicaines » ponctuelles réunissant les groupes « pro-Union », de la GUE/NGL au PPE.

Patrick Piro

Politique
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