Le travail à l’intox

Augmenter le temps de travail alors que le pays connaît encore 3,6 millions de chômeurs relève de l’inconscience ou du cynisme, habillé par un appel à la responsabilité individuelle.

Jean-Marie Harribey  • 22 mai 2019
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Le travail à l’intox
© crédit photo : LUDOVIC MARIN / AFP

À quelques semaines d’annoncer le détail d’une réforme des retraites qui promet du sang et des larmes, le président Macron a lancé une intox pendant sa conférence de presse du 25 avril : « Les Français travaillent moins que les voisins. » C’est faux, quel que soit le critère retenu. La durée légale de travail hebdomadaire des salariés est fixée en France à 35 heures, mais la durée effective est supérieure, 36,3 heures, et est comparable à celle dans les pays voisins, voire plus élevée qu’ailleurs : 36,2 heures en Suède, 35,5 heures en Italie, 34,8 heures en Allemagne, 32,3 heures au Danemark, 29,3 heures aux Pays-Bas. Si on ne retient que les salariés à temps complet, la moyenne européenne est de 40,3 heures, et en France de 39,1 heures.

Mesurée à l’année, la durée du travail est plus élevée en France (1 526 heures) qu’en Allemagne (1 356 heures) et au Danemark (1 408 heures). Sur l’ensemble de la vie active, la France se situe autour de la moyenne européenne. En nombre d’années moyen de vie active : 35 ans en France et en Espagne, 38,1 en Allemagne, 32,6 en Belgique, 31,2 en Italie.

Non seulement les travailleurs français ne sont pas atypiques, mais une confusion est souvent entretenue entre trois « âges » : l’âge légal de la retraite, l’âge moyen auquel les travailleurs prennent effectivement leur retraite et l’âge moyen de fin du dernier emploi, celui-ci souvent lié à une décision patronale. Le premier est de 62 ans, le deuxième est de 62,7 ans pour les hommes et 63 ans pour les femmes. Pour connaître le troisième, il faut prendre en compte plusieurs éléments. D’abord, seulement la moitié des personnes sont encore en emploi au moment de la liquidation ; ensuite, beaucoup de seniors attendent d’avoir 67 ans pour liquider leur retraite sans subir de décote. Les inégalités s’accroissent entre ceux qui ont encore un emploi et que l’on oblige à prolonger leur activité et ceux qui plongent dans le chômage, sans pension de retraite ou même d’allocation-chômage.

Le Président a déclaré péremptoirement : « Il faut travailler plus longtemps puisque l’espérance de vie augmente. » Deuxième intox. L’espérance de vie n’augmente presque plus, de même que l’espérance de vie en bonne santé (63 ans). En réalité, le président annonce une baisse inéluctable des pensions. Parce que le système à points, prenant la totalité de la carrière comme base de l’accumulation de points, se traduira par une réduction du montant des pensions, tout particulièrement pour ceux (surtout celles) qui auront eu des parcours semés de chômage, de précarité et de temps partiel. Et aussi parce qu’une décote sera imposée à ceux qui ne pourront pas travailler au-delà de l’âge légal, jusqu’à 64 ou 65 ans, peut-être plus. Comme on pouvait s’y attendre, cette proposition est soutenue par le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, qui demande une « grosse décote ».

Augmenter le temps de travail alors que le pays connaît encore 3,6 millions de chômeurs de catégorie A, auxquels s’ajoutent 2 millions supplémentaires en incluant les autres catégories, relève de l’inconscience ou du cynisme, habillé par un appel à la responsabilité individuelle (« chacun doit prendre sa part »), pendant que les normes sociales disparaissent peu à peu.

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