L’écologie galvaudée
Tribune. Claire Lejeune, André Rebelo et Matthieu Ponchel du collectif Climat social dénoncent le subterfuge de la liste Renaissance, qui prétend mettre _« la transition écologique au cœur de son identité »,_ malgré deux ans de politique antiécologique par la majorité.
C’est une conviction populaire trop souvent vérifiée : les politiques trahissent. De promesses non tenues en grands écarts idéologiques, de paroles données en retournements de veste, les exemples sont nombreux et participent à un ras-le-bol citoyen trop compréhensible.
Certaines trahisons font la petite histoire du jour. D’autres ont un impact sur le cours de l’histoire. S’il est aujourd’hui difficile de susciter l’engouement, ou même l’espoir, lorsque l’on se dit de gauche, ce n’est pas parce que le projet originel d’émancipation des travailleurs contredit les aspirations des citoyens, c’est parce que le parti socialiste a trahi les (minces) espoirs qu’il avait suscités en 2012. Avec la loi travail qui n’a fait qu’accompagner une économie destructrice, le CICE qui a renfloué des caisses déjà bien remplies sans créer ces millions d’emplois annoncés, la loi sur le renseignement qui érode nos libertés fondamentales, l’État d’urgence, la guerre au Mali, l’incapacité à endiguer la précarité, à répondre à la crise démocratique, à la pauvreté ou à l’exclusion, la proposition de loi sur la déchéance de nationalité… La gauche avait été élue et pourtant rien de gauche n’est sorti de ce quinquennat.
Et si la gauche ne fait plus rêver, c’est au tour de l’écologie d’être utilisée à des fins électorales. Le message est clair et répété sur tous les canaux de communication possible : une grande liste de rassemblement s’apprête à conquérir l’Europe en plaçant « la transition écologique au cœur de son identité ». C’est la liste de la « Renaissance », celle qui nous permettrait enfin de trancher entre les affreux populistes et les progressistes responsables.
L’écologie transformée en outil marketing
Le subterfuge aurait pu faire effet si nous n’avions pas subi deux ans de politique autoritaire, antisociale et antiécologique qui ne permettent plus le doute. Du « Make our planet great again » au G7 de la biodiversité, le président Macron n’eut de cesse de convoquer l’écologie pour alimenter ses monumentales opérations de communication et longs discours pieux. Une analyse objective de son bilan suffit pourtant à dévoiler la supercherie : de la reconduction du glyphosate à la loi Elan ou Egalim, de la suppression des aides à l’agriculture bio au soutien au projet d’EuropaCity, il n’est plus permis de tergiverser sur les véritables intentions du gouvernement tant il est désormais clair qu’il participe activement à la destruction du monde. Le « projet » de la majorité s’oppose en tous points à l’avènement d’un changement de société en phase avec la crise climatique. Leur langage projette un autre univers, celui des premiers de cordée qui n’essaient plus tant de tirer les autres que de couper la corde pour ménager leur survie dans une planète qui brûle déjà.
Ici l’écologie est galvaudée, transformée en outil marketing opportun afin de capitaliser au maximum sur l’inquiétude grandissante de la population, sans qu’aucun acte consistant ne s’en suive jamais. Dès lors, jouer le jeu dangereux de ces politiques de faux-semblants n’est plus seulement une trahison lorsque l’on est écologiste, c’est une menace pour l’avenir commun.
« On cherche à faire de l’enjeu écologique un axe central qui rassemble autour de lui la diversité des approches et des expériences », écrivaient Daniel Cohn-Bendit et Jean-Paul Besset dans une récente tribune. Ils ne semblent pas comprendre que l’urgence écologique est exigeante et précise. Elle ne s’accommode pas des visions qui font rimer l’écologie avec une adhésion béate à la mondialisation, avec le détricotage des législations qui jusque-là protégeaient nos sites classés, avec un mépris de celles et ceux qui déjà paient le prix de la constitution progressive d’un apartheid social et écologique global. Soyons clairs : l’écologie ne peut pas se contenter d’être la façade verte de politiques néolibérales et productivistes. Elle ne peut pas être une variable d’ajustement des politiques publiques, mais doit en constituer le cœur.
Une orientation globale et non un affichage
L’écologie part d’une prise de conscience existentielle profonde, d’une inquiétude immense, qui se transforme certes par sédimentations successives en programmes politiques bien concrets, mais qui reste toujours alignée avec cette radicalité première. Si la « diversité des approches et des expériences » signifie que nous allons à ce titre transiger avec celles et ceux qui souhaiteraient prolonger le glyphosate ou multiplier les EPR ; si cela signifie nous afficher avec celles et ceux qui espèrent encore préserver la charpente du modèle économique qui ravage la planète, alors nous rejetons fermement cette « diversité » qui ne saurait être qu’un bric-à-brac bancal. L’écologie sera anticapitaliste et résistante ou ne sera pas. L’humanité ne pourra se contenter longtemps d’une écologie de façade, sauf à croire que l’on pourra réconcilier durablement la fausse promesse d’une « centralité de l’écologie » avec le centrisme politique du « en même temps », dont les atermoiements tartuffards ne sont plus un secret pour personne
Il y a de ces moments dans l’histoire humaine où les choses se cristallisent, où nous sentons que les choses se précipitent. Les choix politiques de notre génération se doivent d’assumer une responsabilité décisive, celle de tenir courageusement la promesse d’une écologie de transformation et d’en activer les multiples ressorts pour la défense du vivant et de la justice sociale. L’écologie n’est pas « centrale » au sens où elle pourrait accueillir en un point d’équilibre toutes les sensibilités ; l’écologie est centrale au sens où elle est principielle, primordiale, vitale. Si l’écologie n’est pas un vain mot, elle est une orientation globale et non un affichage, un engagement profond qui ne s’accommode en aucun cas d’un renoncement constant aux appels de la finance. Ainsi notre responsabilité n’est pas d’œuvrer à la Renaissance d’un système économique destructeur pour le vivant, mais de lutter en faveur d’un réveil commun. En multipliant les roulades hypocrites et en investissant le débat public d’une communication de bon aloi, les premiers de cordée ont suffisamment fait renaître leur monde, il est désormais temps de sauver le nôtre : le monde commun, terrestre et fragile.
Par Claire Lejeune, André Rebelo et Matthieu Ponchel de Climat social, un collectif de militant.e.s engagé.e.s pour la défense de l’écologie politique telle que définie dans sa charte à travers l’organisation d’événements ou la participation à des mouvements d’actions directes. Leur blog ici.
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