Mineurs en prison et à l’abandon
En visite avec la sénatrice Esther Benbassa (EELV), nous avons pu constater les dures conditions de détention des jeunes d’un établissement pénitentiaire.
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L’arrivée devant l’unique établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) d’Île-de-France, à Porcheville (Yvelines), donne tout de suite le ton. En bordure d’un petit bois, l’EPM est au bout d’une route sans issue. Aucun commerce, presque aucune habitation alentour. Dans cette commune de l’agglomération de Mantes-la-Jolie, la gare du Transilien la plus proche est à plus de deux kilomètres. Construite tout au bout de la zone industrielle de Limay-Porcheville, cette prison pour mineurs jouxte une déchetterie. Derrière la clôture de l’EPM, la vue est barrée par une montagne de détritus, de pneus, de carcasses de voiture. Sensation de bout du monde, ou plutôt de relégation.
Outre le Défenseur des droits (Jacques Toubon) et la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (Adeline Hazan), seuls les parlementaires sont autorisés à visiter des lieux de détention. Sénatrice de Paris, Esther Benbassa (EELV) est très active sur la question des prisons. Elle multiplie ainsi les visites inopinées à la fois dans les centres de rétention administrative et dans les établissements pénitentiaires. Lundi 13 mai, accompagnée de ses collaborateurs et de huit journalistes, elle sonne donc en fin de matinée à l’entrée de l’EPM de Porcheville – sans avoir prévenu l’administration pénitentiaire ni la direction de l’établissement. La surveillante, derrière une vitre blindée, annonce notre arrivée sans ouvrir la lourde porte.
« Je n’avertis jamais de ma venue : comme cela, tout n’est pas nettoyé à l’eau de Javel juste pour notre visite ! » plaisante l’élue durant les longues minutes d’attente avant que la directrice de l’établissement, Nathalie Jaffré, apparaisse finalement sur le pas de la porte. Le groupe est invité à pénétrer dans la petite salle devant le box vitré des gardiens ; la directrice examine les papiers d’identité de chacun, de la carte tricolore de la sénatrice jusqu’aux cartes de presse – elle prend note des médias représentés. Puis une discussion s’engage sur le nombre de journalistes pouvant accompagner l’élue.
Nathalie Jaffré invoque un décret de 2016 (pris durant le vote sur l’état d’urgence) limitant les visites à cinq reporters et deux appareils d’enregistrement (photos, vidéo ou sons). N’ayant jamais été soumise à ces restrictions, Esther Benbassa accompagne la directrice jusqu’à son bureau pour voir ce règlement. Au bout d’une heure de tractations, un compromis est trouvé, mais trois journalistes sont contraints de rester à l’extérieur, ainsi que la majorité des micros, appareils photo et vidéo « surnuméraires »…
Un gardien et la directrice accompagnent notre petit groupe pendant toute la visite, bientôt rejoints par le responsable de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Car l’ordonnance du 2 février 1945, qui fixe les principes généraux de la justice « relative à l’enfance délinquante » (1), impose « la primauté de l’éducatif sur le répressif » ; elle organise le travail conjoint d’équipes « pluridisciplinaires » composées d’éducateurs spécialisés et de surveillants pénitentiaires. L’EPM de Porcheville fait partie des premiers ouverts, en février 2008, à la suite de leur création par la loi dite Perben I (9 septembre 2002) et de la fermeture des quartiers pour mineurs des maisons d’arrêt de Bois-d’Arcy (Yvelines) et d’Osny (Val-d’Oise). Il dispose de 60 places, l’encellulement individuel étant la règle pour les mineurs, et comptait, le jour de cette visite, 55 enfants incarcérés, tous de sexe masculin, dont 90 % sont des prévenus, c’est-à-dire en attente de jugement. Prévenus et condamnés (10 % donc) sont incarcérés sans distinction, dans les mêmes unités, prennent leurs repas et participent ensemble aux activités socio-éducatives proposées – du sport, surtout, la bibliothèque et quelques jeux collectifs.
Le long des grilles qui séparent le terrain de sport des bâtiments, des ordures jonchent le sol, en contrebas des fenêtres grillagées des cellules. Devant ces amas de déchets, la sénatrice s’étonne. La directrice explique que ce sont les détenus qui les jettent par les trous des grilles ou qui les font tomber lorsqu’ils se passent des objets au moyen de « yoyos », des pans de tissu découpés dans les draps et lancés d’une fenêtre à l’autre – on voit en effet de nombreuses lanières blanches au sol ou attachées aux barreaux. Mais l’explication convainc difficilement, les trous des grilles ne mesurant que quelques centimètres alors que des bouteilles en plastique de deux litres sont en nombre au sol…
On visite alors une unité – vide, car les détenus, nous dit-on, sont à l’école de la prison. En effet, la scolarisation est obligatoire pour tous les mineurs de moins de 16 ans. Les classes, avec des enseignants de l’Éducation nationale, sont organisées chaque jour jusqu’à 15 h 30, entrecoupées par un repas collectif et suivies par du sport ou des activités à la bibliothèque. Mais les détenus de plus de 16 ans ne sont pas obligés de suivre les cours et, parmi ceux rencontrés, beaucoup préfèrent rester en cellule, devant la télé. Dans la partie collective de l’unité de détention, une salle dite « de détente », avec un baby-foot, quelques jeux de société et de cartes en mauvais état… L’indigence des moyens saute aux yeux. Malgré les efforts des éducateurs spécialisés de la PJJ, le désœuvrement est le quotidien d’une grande partie de ces mineurs incarcérés.
La pièce suivante, donnant sur une petite cour, est la salle des repas – four à micro-ondes, réfrigérateur, table centrale. Dans l’unité suivante, cinq jeunes détenus déjeunent. Au menu, des champignons « à la grecque » (en entrée) baignent dans une sauce tomate industrielle, puis poisson et purée. Les détenus se plaignent en premier lieu de la qualité de la nourriture, et surtout des faibles quantités. Sous-traitée à une société privée, la restauration paraît à tout le moins médiocre. Le rapport d’Adeline Hazan, en 2017, avait noté les mêmes griefs, et nombre d’enfants connaissent des problèmes de surpoids car ils compensent la nourriture servie par une grande consommation de friandises achetées dans les distributeurs automatiques ou obtenues par le système des « cantines » (commandes à l’avance). Les détenus musulmans se plaignent aussi de devoir manger froid pendant le ramadan, la rupture du jeûne advenant après les horaires des repas collectifs.
Avant de visiter le quartier disciplinaire, avec ses quatre cellules nues, des blocs sanitaires sales et rouillés, et la salle du conseil de discipline, nous visitons l’unité n° 6, dite de « surveillance renforcée », où sont placés ceux qui ont commis des incivilités ou les moins de 16 ans, qui ne peuvent être envoyés au quartier disciplinaire. Comme dans toutes les autres unités, les murs sont tagués et les sanitaires dans un état lamentable. Ici, la télévision n’est pas toujours autorisée dans les cellules.
Les occupants de l’unité n° 6 sont davantage suivis par les éducateurs de la PJJ : « Nous menons plus d’entretiens spécifiques avec les détenus envoyés dans cette unité pour éviter les violences et modifier les comportements. Il s’agit notamment de casser les effets de groupe, ce qui est le “b.a.-ba” de la délinquance : lorsque vous avez affaire à un détenu seul, c’est souvent plus facile, alors qu’en groupe ils s’excitent entre eux », explique Abdelkader Ayyad, responsable de la PJJ.
Sans que cela puisse être vérifié, certains jeunes rapportent des violences de la part des surveillants, ou affirment que ceux-ci pénètrent dans leur cellule lorsqu’ils sont sous la douche. Ce que nient catégoriquement les surveillants présents… Comme l’avait pointé le rapport d’Adeline Hazan en 2017, la violence est un problème régulier entre détenus et surveillants à Porcheville, même si les incidents semblent avoir récemment diminué en nombre – la précédente directrice avait été agressée en 2017 par un mineur au cours d’un conseil de discipline. Il demeure que le désœuvrement et l’indigence des activités pourraient expliquer beaucoup de la tension régnant dans l’établissement. D’autant que la première sanction qui peut frapper un détenu, c’est la privation de télé en cellule pour 24 heures…
Avant de quitter l’EPM, le groupe traverse la bibliothèque, très propre, bien entretenue, dotée de livres en nombre, même si le niveau des lectures proposées semble assez faible, avec pas mal de bandes dessinées pour jeunes enfants (Titeuf, Picsou…). Un éducateur explique que beaucoup de détenus ont d’énormes difficultés de lecture et de compréhension écrite…
Les surveillants en EPM ont davantage de travail puisqu’avec des mineurs il y a plus de temps collectifs et d’activités à encadrer. Nous sommes mal payés, comme dans les unités pour majeurs, mais avec un public souvent plus difficile, puisque les problèmes de délinquance interviennent dans la période de l’adolescence, par définition plus compliquée pour chacun. Ces mineurs demandent beaucoup, et nous, surveillants, ne pouvons souvent pas faire plus…
Enfin, à l’extérieur, un syndicaliste FO des surveillants partage ses observations : s’il y a peu de moyens pour les détenus, il se plaint en premier lieu du manque d’effectifs et des très bas salaires :
Il est manifeste que les moyens manquent à tous les niveaux. Et que ces enfants sont d’abord victimes d’une sorte d’abandon, dans la pauvreté, quels que soient les délits commis, et malgré les efforts des enseignants et des personnels socio-éducatifs. La France ne devrait-elle pas investir davantage dans l’éducation pour sa jeunesse, en premier lieu celle qui a le plus de difficultés et qui a pris, si tôt, le chemin de la délinquance ?
(1) Ordonnance maintes fois « consolidée » (pour reprendre le terme juridique), en particulier sous Sarkozy puis sous Hollande en 2016 (à la suite des attentats).