« Pinocchio (live) » : la révolte des pantins

Dans le cadre de son exposition à la Maison des Arts de Créteil, Alice Laloy présente Pinocchio (live). Un beau et étonnant rituel de marionnettisation.

Anaïs Heluin  • 21 mai 2019 abonné·es
« Pinocchio (live) » : la révolte des pantins
© crédit photo : christine plenus

Au milieu du Carreau du Temple, lors de sa création à l’occasion de la 10e édition de la Biennale internationale des arts de la marionnette (Biam), qui se poursuit jusqu’au 29 mai, l’ouverture de Pinocchio (live) aurait presque pu passer inaperçue. Si cette performance n’avait été indiquée dans le programme d’ouverture du festival, le rassemblement d’enfants autour d’un petit char fait de bric et de broc aurait presque pu se confondre avec les allées et venues des petits et des grands venus découvrir la richesse et la diversité de la marionnette contemporaine et du théâtre d’objets. Orchestré par Alice Laloy, Pinocchio (live) commence en catimini. Il naît d’une énergie quotidienne, débute de manière quasi naturaliste pour évoluer vers un troublant rituel de métamorphose.

Mené par treize jeunes officiants issus de la classe à horaires aménagés du Conservatoire à rayonnement régional de la Ville de Paris et par autant de ­performeurs professionnels apparus discrètement, comme né du silence initial, l’étrange cérémonial qui se met en place prend à rebours le cycle de vie et de mort habituel d’une marionnette. Au lieu de chercher à donner l’illusion d’une naissance, d’une incarnation de la matière, Alice Laloy met en scène la transformation de la chair en bois et autres composants nécessaires à la construction d’un pantin. D’un petit garçon de pin inspiré des fameuses Aventures de Pinocchio (1881) de Carlo ­Collodi d’une manière très libre. Très ouverte à l’interprétation.

Rien, dans Pinocchio (live), ne dit l’histoire de Geppetto, le pauvre menuisier italien qui d’une bûche a fait un enfant. Rien n’évoque non plus les aventures ni les mensonges du célèbre personnage de la littérature jeunesse. Comme dans toutes les créations de la compagnie S’appelle reviens, fondée par Alice Laloy en 2002, c’est la fabrication d’une image qui est au centre du spectacle. Celle de Pinocchio en l’occurrence, qui naît d’une série d’opérations bien précises. D’une suite de découpes et de maquillages réalisés à vue par les interprètes sur les enfants installés sur des espaces de travail hybrides, entre l’établi et le bloc opératoire. Au rythme d’un tambour et d’une clochette, le processus donne forme à des créatures proches de celles qu’on observe sur les photographies de Pinocchio(s), exposées jusqu’au 25 mai, date du second Pinocchio (live).

Avec leurs corps tout blancs, leurs grands yeux qui ne se ferment jamais et leurs costumes d’écoliers un peu désuets, les enfants marionnettisés qui nous font face à la fin de Pinocchio (live) ressemblent en effet à ceux qu’Alice Laloy a commencé à photographier en Mongolie il y a quelques années. Après qu’un magazine consacré aux arts de la marionnette l’a sollicitée pour sa couverture. Partie dans le pays des steppes, où la contorsion, enseignée dès l’enfance, est inscrite dans le patrimoine culturel, l’artiste a collaboré avec trois écoles pour réaliser la série d’images qui orne les murs de la Maison des arts de Créteil. Où des enfants déguisés en pantins apparaissent abandonnés dans une école, une salle de cinéma, un gymnase ou encore un grenier, dans des positions incongrues. Tout désarticulés.

Les clones bricolés à la chaîne devant nous, jusqu’à former une sorte de classe qui fait penser à celle de Tadeusz Kantor dans La Classe morte – référence évidente d’Alice Laloy –, sont donc les fruits provisoires d’une recherche de long terme. Des fruits rares, car avec eux la marionnettiste affirme une manière bien à elle de se placer hors des sentiers battus de la production et de la diffusion théâtrale. Avec son perturbant rituel, elle nous fait remonter le fil de sa création. Elle nous révèle les secrets de fabrication des pantins humains que l’on admire sur ses photographies et désacralise ainsi son geste.

Dans Pinocchio (live), la magie est entièrement placée du côté des interprètes. Des plus jeunes d’entre eux surtout, qui une fois transformés en Pinocchio se rebellent en une danse. En une transe qui annonce sans doute la prochaine étape du projet d’Alice Laloy : l’écriture d’une forme scénique avec des enfants contorsionnistes.

Pinocchio (live), Maison des Arts de Créteil, 25 mai, 18 heures (entrée libre sans réservation), dans le cadre de l’exposition Pinocchio(s), 01 45 13 19 19, maccreteil.com

Théâtre
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