Stéphane Troussel : « La protection de l’enfance doit devenir une priorité nationale »
Une proposition de loi restreint l’accès au dispositif « contrat jeunes majeurs » et discrimine notamment les mineurs étrangers.
dans l’hebdo N° 1553 Acheter ce numéro
Amendement surprise dans l’Hémicycle le 7 mai. La proposition de loi sur l’accompagnement des « jeunes majeurs vulnérables » vers l’autonomie a été vidée de sa substance : le gouvernement a déposé un amendement restreignant l’accès au dispositif « contrat jeune majeur » à ceux ayant été placés par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) pendant dix-huit mois consécutifs dans les deux ans précédant leur majorité. Ceux qui ne pourront remplir ces conditions en seront exclus, dont les étrangers qui sollicitent la protection de la France après leurs 16 ans, mais plus généralement tous les mineurs de plus de 16 ans sans ressources. Sans ce contrat qui permet de prolonger le soutien de l’ASE, les enfants placés risquent de se retrouver dans la rue à 18 ans. Certains députés de gauche ont parlé de « trahison ». La proposition de loi a quand même été adoptée en première lecture par 42 voix contre 6. Stéphane Troussel dénonce l’effet couperet de cet amendement.
L’amendement surprise du 7 mai est-il une manœuvre économique ou idéologique ?
Stéphane Troussel : Les deux. J’avais soutenu la version initiale de la proposition de loi portée par Brigitte Bourguignon et je ne me reconnais pas dans la version modifiée. À 18 ans, les jeunes sortant de l’ASE doivent poursuivre une formation, trouver un logement, un emploi, accéder aux soins. Le taux de pauvreté chez les 18-25 ans est le double de celui de la population générale. Et un sans-abri sur quatre est un ancien enfant de l’ASE. La Seine-Saint-Denis met en place depuis longtemps des contrats jeunes majeurs pour éviter les « sorties sèches » : deux tiers des jeunes sortant de l’ASE en bénéficient, soit un millier, pour un budget de 20 millions d’euros. Ce type de contrats dépendait de la bonne volonté des départements, ce qui constituait une vraie rupture d’égalité. La proposition de loi visant une généralisation sur l’ensemble du territoire était donc défendue par les associations, les collectifs de protection de l’enfance, et des élus locaux et parlementaires déjà engagés. La nouvelle version pose deux problèmes capitaux : on est passé d’une obligation pour les départements à une forme de contractualisation. En outre, le dispositif sera réservé aux jeunes placés avant 16 ans qui auront cumulé 18 mois de placement. Or 44 % des enfants de l’ASE sont placés après 16 ans et, sur ces 44 %, près de 70 % sont des mineurs non accompagnés (MNA). Pour ces enfants, c’est une discrimination supplémentaire : en Seine-Saint-Denis, ils représentent 20 à 25 % du public ASE. Mais une jeune fille victime d’inceste qui part de chez elle à 17 ans ou un jeune homme du même âge mis à la porte pour avoir révélé son homosexualité seront exclus également. Cette durée de 18 mois cumulés est un vrai couperet.
Que représente l’augmentation affichée dans le texte d’un budget de 12 à 60 millions ?
Ces 12 millions, c’est la part de 135 millions de crédits fléchés pour contractualisation avec les départements dans le cadre de la stratégie pauvreté. L’État alloue 400 000 euros à la Seine-Saint-Denis pour les contrats jeunes majeurs. Cette aide sera-t-elle multipliée par cinq ? 48 millions pour généraliser les contrats jeunes majeurs à l’ensemble du territoire, c’est très modeste ! Un des enjeux principaux, c’est l’accès aux politiques de droit commun qui ne relèvent pas du département : hébergement-logement, santé, régularisation pour les MNA.
Qu’en est-il du « pacte pour l’enfance » annoncé à la suite de l’alerte sur l’ASE en Seine-Saint-Denis lancée en novembre ?
De notre côté, notre budget ASE a augmenté de 20 millions et nous créons des postes de prévention supplémentaires. On a organisé le 7 mai des états généraux pour la protection de l’enfance. J’attends que la protection de l’enfance devienne une priorité nationale et que le secrétaire d’État Adrien Taquet fasse de ses annonces pour l’enfance un grand plan de mobilisation des services de l’État. Il faut que l’État dise comment il entend soutenir les départements. En quatre ans, le nombre de MNA a triplé en Seine-Saint-Denis, et 25 % du public ASE du département relèvent de soins psychiques, alors que la santé mentale y est sinistrée. Quelles seront ses réponses ?
Comme Paris, la Meurthe-et-Moselle et le Val-de-Marne, la Seine-Saint-Denis refuse de renseigner le nouveau fichier concernant les mineurs isolés. Est-ce un acte de désobéissance ?
Je me suis opposé à la loi asile et immigration. J’ai dit avec d’autres collègues que je refusais d’appliquer le décret instaurant un fichage des MNA : les départements ne sont pas des exécutants de la politique migratoire du gouvernement, ni des supplétifs du ministère de l’Intérieur. Nous avons une mission de protection de l’enfance. Ce fichier y contrevient. Les associations, les ONG, le Défenseur des droits, la Défenseure des enfants sont sur la même ligne que nous : qui désobéit aux grands principes de notre pays ?
Stéphane Troussel Président socialiste du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis.