« The Dead Don’t Die », de Jim Jarmusch [Compétition]
Le réalisateur américain a ouvert le 72e festival de Cannes avec une farce formelle et politique.
Amateurs de frissons et de cinéma de genre s’abstenir. The Dead Don’t Die, de Jim Jarmusch, qui a ouvert le 72e festival de Cannes et la compétition (tout en sortant simultanément dans les salles), est un film de zombies sans en être un. Ou plus exactement, plus le film avance, et plus les morts-vivants deviennent une métaphore de ce que la société fait de nous, des individualistes errant sans but et avides de consommation, dans un monde qui approche de sa fin. Mais attention, nous sommes chez Jarmusch ! Si The Dead Don’t Die est son film le plus politique, l’ironie, le détachement, et les clins d’œil imposent le ton ; un ton réjouissant, pour qui n’a pas l’esprit de sérieux.
« Centerville, un endroit paisible », est-il inscrit à l’entrée de la bourgade où se déroule l’action. Et la caméra de montrer, avec flegme, son centre de redressement pour mineurs, sa chambre froide, et son commissariat… Mais tout (le temps, la nuit et le jour, les horloges…) se dérègle à la suite d’un décentrement de la Terre par rapport à son axe, dû à l’activité humaine. Catastrophe écologique qui a pour conséquence de faire sortir de leur tombe les défunts en quête de chair fraîche, dont l’un des premiers a les traits d’Iggy Pop.
Personne ne sait vraiment comment réagir dans la bourgade – ce n’est pas simple, après tout, la seule façon d’éliminer un mort-vivant consistant à en « tuer la tête », c’est-à-dire le décapiter – surtout pas les trois flics du commissariat (interprétés par Bill Murray, Adam Driver et Chloë Sevigny), qui agissent moins qu’ils ne devisent placidement sur ce qui arrive. Seule la responsable de la chambre froide (Tilda Swinton, toujours formidable) sait s’y prendre avec son sabre de samouraï. Mais elle a quelque chose d’extraterrestre – ce qui sera explicitement démontré. Tandis que Bob l’Ermite (Tom Waits), un original vivant dans la forêt, a le statut d’observateur et de porte-voix du cinéaste. Il détient la morale de l’histoire, anarcho-décroissante, qu’il délivre dans une voix-off finale. Jarmusch s’autorise ce discours direct et (peut-être trop) lourd de sens, lui qui joue à loisir sur la littéralité et la banalité des mots, à l’instar des poètes de l’école de New York (cf. Paterson, présenté à Cannes il y a trois ans) qu’il admire. L’un des gags les plus littéraires, de ce point de vue, est celui où les trois flics découvrent l’un après l’autre le premier massacre commis par les zombies. Les plans se répètent, semblables, et chacun prononce successivement la même phrase : « C’est le fait d’une bête sauvage, de plusieurs bêtes sauvages. » Au comique de répétition s’ajoute l’irréalisme de la séquence : cela suffit pour montrer que, décidément, tout se déglingue.
Jim Jarmusch s’en donne à cœur joie quant aux blagues réflexives : les personnages se parlent de la version du scénario qui leur a été donnée à lire, Bill Murray déclare que « Jim » lui doit beaucoup, la musique du film devient un enjeu du récit – il s’agit d’un air de country écrit et interprété par le chanteur Sturgill Simpson, dont le titre a donné celui du film… De même, et comme à son habitude, Jarmusch multiplie les références cinéphiliques – La Nuit des morts-vivants, de George Romero, bien sûr ; Psychose, d’Hitchcock… On aurait tort d’y voir des manières (un peu datées) de petit malin. The Dead Don’t Die est une farce formelle et politique, une œuvre cohérente malgré son apparente nonchalance. Si elle est bardée d’humour, elle ne manque pas de faire rire jaune : par exemple, on n’a jamais montré de façon aussi radicale comment nos comportements de citadins, avec nos regards focalisés sur nos téléphones portables, nous font basculer du côté des morts-vivants. Qu’on se le dise : Jim Jarmusch a la chair humaniste.
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