Blanche, super-héroïne
Blanche Gardin signe un nouveau spectacle décapant et irrévérencieux, bousculant les clichés sexistes, chahutant les travers encombrants du quotidien.
dans l’hebdo N° 1556 Acheter ce numéro
Une toute petite bonne femme blonde dans sa robe bleue d’enfant sage, au regard malicieux, le sourire en coin. On se demande d’abord quelle bien douce connerie elle va faire. Elle vient raconter sa vie, des bribes de son existence, poser son regard sur le monde qui l’entoure. Elle n’a pas d’enfant. « La vie s’arrête à la mienne. » Alors pensez donc si l’écologie, elle s’en cogne et s’en moque.
Au reste, Blanche Gardin se moque de tout et d’elle-même d’abord : « Je n’ai pas l’âge de mon prénom, j’attends », confie-t-elle, avant d’évoquer brièvement ses premières règles, la sexualité et la vieillesse qui se poste aux aguets (la sienne, à plus de 40 ans maintenant), sa défiance à l’égard de la virilité, des magazines féminins, du féminisme, de l’autorité et du pouvoir liés à la libido, sa place dans la société. Mais quelle place parmi les humoristes qui montent sur scène avec une identité, une cause à défendre ? « Moi, je n’ai rien, je n’ai pas de spécificité. Je ne suis pas homo, je ne suis pas trans, je ne suis pas végane, je ne suis pas polyamoureuse, je ne suis pas obèse, je ne suis pas noire, je ne suis même pas juive. Je ne suis rien ! Je suis une femme blanche, hétérosexuelle, consommatrice d’anxiolytiques. Ce n’est pas une identité, c’est un cercueil. »
En revanche, elle dit savoir quand elle est devenue une femme : « Quand j’ai couché avec un homme marié, quand tu te fais doigter par une main avec une alliance dessus. C’est la vision de la main du mec, avec son alliance, entre tes cuisses qui te fait devenir une femme brutalement… » Crue, directe, Blanche Gardin se plaint, gémit, râle, houspille, tacle la soumission sexuelle des femmes à devoir « sucer une bite qui sent le castor », reconnaît avoir sucré le hashtag Balance ton porc parce que certains propos… l’excitent !
Surtout, elle refuse toute bienveillance à son égard, parce que « la vie est un risque. Et tout est risque… » Fumer aussi. « Mais de là à mettre des images de mort sur un paquet de cigarettes ! Pourquoi pas placarder des posters de noyés à l’entrée des plages ?! » Avant encore de porter quelques commentaires sur l’actualité : l’inutilité du grand débat, la médiocrité de quelques émissions télé, celle de Cyril Hanouna entre autres, l’esprit de la Manif pour tous (« C’est rien que des gros pédés »), la diarrhée verbale sur Twitter et le retour de l’antisémitisme (« C’est complètement con d’être antisémite en 2019. Aujourd’hui, ce sont les gays qui contrôlent tout ! »)…
Truculente, gauloise et caustique, un brin provocatrice, inventive, déclinant un verbe parfaitement troussé, Blanche Gardin (née en 1977), passée par le Jamel Comedy Club, déploie son récit sur un ton mal assuré, ou plutôt faussement mal assuré, tout un discours en apparence gauche et maladroit, mêlant l’intime et l’universel, passant du coq à l’âne, additionnant les digressions, jouant à saute-mouton avec la vérité, plongeant dans un jeu de l’oie. On ne sait jamais si elle fabrique du vrai avec du faux – ou l’inverse. Il y a assurément du Pierre Desproges dans Blanche Gardin. Même esprit taquin, sale gosse, instable turbulente, mêmes yeux pétillants d’espièglerie, même envie de rosser les cuistres, à rebours des idées reçues, pas vraiment carpette et un niveau de langue plutôt soutenu. Des ingrédients qui expliquent son succès actuel sans doute : Bonne nuit Blanche, son nouveau spectacle, après Je parle toute seule, affiche complet jusqu’à fin juin.
Gardin, c’est aujourd’hui la femme humoriste la plus suivie, la plus regardée. En 2018, elle obtenait le Molière du meilleur spectacle humoriste, qu’elle se donnait elle-même, lisant son nom sur la fiche du lauréat parmi d’autres candidats tirés de « la discrimination positive » (« Un Noir, un Arabe, un Réunionnais »). Pour le coup, elle rappelait Desproges et ses fameux « juifs qui se seraient glissés dans la salle » et qu’on n’oserait plus dire. À tort. Curieuse récompense tout de même : « Je le savais, je suis la seule femme nommée l’année de l’affaire Weinstein. C’est l’histoire de ma vie : le jour où j’ai un prix, il n’a aucune valeur ! J’ai l’impression d’un rebeu du 93 qui vient d’être admis à Sciences Po ! », dit-elle, remerciant des parents qui lui ont transmis « cette belle angoisse de la mort ». Rebelote en 2019. Nouveau Molière. Cette fois, elle tacle son mentor américain, Louis C.K., également son compagnon, mis en cause par plusieurs femmes dans le mouvement MeToo, et salue le travail des humoristes, au-delà du sien, dont « la tâche qui incombe de faire rire, dans cette époque sinistre, s’apparente beaucoup plus à de la médecine d’urgence qu’au divertissement ».
Depuis deux ans, elle refuse toute intervention dans les médias. Elle n’a pas besoin de promo, on le comprendra. Surtout, elle n’a pas envie de donner son avis sur tout et n’importe quoi (et peut-être pas sur Louis C.K.). Seule entorse à la règle : elle s’est rendue à la matinale de France Inter, avec Christophe Robert, le 22 mars dernier, pour défendre la Fondation Abbé-Pierre et l’association des Enfants du Canal, pointant « la pauvreté qui s’aggrave en France », « un gouvernement qui casse les possibilités d’une politique de logement juste, au moment où les dons aux associations chutent, conséquence terrible de la suppression de l’ISF, parce qu’il faut rappeler que ces dons sont liés à la défiscalisation ». Dans la foulée, remontée contre le traitement des plus démunis, cinglant Emmanuel Macron, elle refusait d’être décorée de l’ordre des Arts et des Lettres par le ministre de la Culture. Cette petite dame grandiose ne fait jamais les choses comme tout le monde.
Bonne nuit Blanche, Blanche Gardin, spectacle en tournée.