Cosmique de situation

Pour son premier livre en couleur, Clément Vuillier traque l’énergie d’une comète en voyage et d’une planète en pleine métamorphose. Une contemplation brute, dont l’humain est absent.

Marion Dumand  • 25 juin 2019 abonnés
Cosmique de situation
©photo : L’océan : un des « héros » muets de Clément Vuillier. crédit : C.Vuillier

L e paysage est mon sujet central. Comme zone d’exploration plus ou moins fantasmée. » Avec L’Année de la comète, Clément Vuillier penche clairement du côté « plus ». Passe une comète dans le ciel étoilé et une planète se métamorphose. Les phénomènes sont-ils liés, concomitants ? Planète et comète ne font-elles qu’une ? Il n’y aura pas de réponse. Ce livre grand format est muet, et cette aventure cosmique sans héros, si ce n’est le paysage ou plutôt les paysages. On pourrait craindre l’ennui, on n’en voit pas la queue. Explosions, neige, tsunami, forêt tropicale, masse de feu, volcans, océan, cyclone : tout est mouvements, soubresauts, entrelacs. Ça vibre, fascine ! On peut passer de longs moments à regarder les planches, les milliers de détails entremêlés, toujours sous-tendus par une folle énergie, un courant. Un petit Big Bang dépeint avec une grande modestie.

Deux histoires se rencontrent : celle d’une comète et celle d’une planète. Le lecteur est le point d’attraction de la première : son déplacement nous la rend de plus en plus proche, comme si le télesco­pe devenait peu à peu micro­scope. Et il est le spectateur de la seconde : les plans posés, distants, sont autant de cartes postales démentes, alternant panoramiques et focus. Jusqu’à se resserrer sur les explosions qui animent les surfaces et les cieux. Planète ou comète, qu’importe : nous y sommes, et c’est ce qui compte.

Né à Bagnères-de-Bigorre, dans les Hautes-Pyrénées, Clément Vuillier dessine, marche, randonne et pratique l’alpinisme. Si parcourir de grandes distances ou accumuler les destinations exotiques ne le fascine en rien, c’est qu’il privilégie l’instant et son ressenti :

Je ne fais pas du tout de croquis de paysage. D’abord parce que je trouve ça extrêmement dur. La montagne est un élément trop puissant pour qu’on puisse la capter. Ensuite parce que je préfère en profiter quand j’y suis. Et je n’aime pas travailler après coup d’après documentation. Je préfère partir de ce que mon esprit a capté. Je fonctionne de la même façon pour les lieux où je ne suis pas allé. Nous avons tous une ou des représentations fantasmées de la jungle, du pôle Nord, et c’est cette mythologie qui m’intéresse.

Traversés, lus ou rêvés, les paysages se sont imprimés en l’auteur, au sens photographique du terme. Et c’est à la plume, en noir et blanc, qu’il les traduit d’abord. Sans aplats mais en ligne claire, en coloriages restant à colorier, complètement fous tant ils abondent en détails, à tel point que le motif peut parfois disparaître sous les traits pour réapparaître avec la couleur. Des couleurs choisies parmi les tertiaires. Leur douceur, leurs accords contrastent avec le déferlement d’énergie sidérale, la rendent saisissable à l’œil humain, sans angoisse ni éblouissement : Clément Vuillier nous fait contempler cette vie qui agrège les éléments du paysage, ou les désagrège aussi bien.

« J’ai des “intentions de couleurs”, mais souvent le résultat diffère. Il faut dire que je me sens plus à l’aise avec le dessin qu’avec la couleur. L’outil numérique permet une réadaptation permanente des teintes, ce qui laisse place à l’erreur et à la modification. Ce processus de fabrication est aussi une habitude prise avec la micro-édition et la sérigraphie. » Clément Vuillier est un pilier de 3 Fois par jour, qui édite à faibles tirages affiches belles et livres beaux, dont ses Succulentes en 2019, où les fleurs sont autant de paysages risographiés. Là aussi, l’abandon du noir et blanc premier se confirme.

Car, chez Clément Vuillier, en effet, au départ était le noir et blanc. Qui schématise (Saint Guignefort), en plans ou en planches pires qu’anatomiques (Méchant Médecin, bon architecte), s’attaque aux paysages avec humains minuscules (Flat, Nous partîmes 500, Le Voyage céleste extatique), avec une entorse colorée pour révéler au grand public la fin des dinosaures (– 65 000 000).

Une rencontre va transformer l’entorse en nouvel habitus : avec la passionnante revue Reliefs, qui se décline en collections annuelles (« Explorer les dernières frontières » en 2016, « Horizon » en 2017, « Altitudes » en 2018 et « Eau » en 2019). « Pierre Fahys, le directeur de la publication, recherchait un illustrateur pour les quatre premiers numéros de la revue – Abysses, Tropiques, Pôles et Galaxies –, se souvient-on à Reliefs, quand il est tombé par hasard en librairie sur Le Voyage céleste extatique (aux éditions 2024), livre en noir et blanc de Clément Vuillier. Il a tout de suite aimé son travail magnifique, rempli de détails et surtout très onirique. » Des dessins intérieurs à l’encre de Chine aux couvertures immersives et colorées, la boucle n’en finit plus de se boucler puisque ce sont ces couvertures qui ont donné envie aux éditions 2024 d’un nouvel album dans leur collection grand format. L’Année de la comète est né ainsi.

« Paysages grandioses des âges disparus ! Nul regard humain ne vous a contemplés, nulle oreille n’a compris vos harmonies. » En quatrième de couverture, ­Clément Vuillier cite Camille Flammarion : il aime sa description de mondes préhistoriques écrite avec la langue du XIXe siècle. La rencontre des éléments crée des chocs féconds. Qu’ils s’exercent entre comètes et planètes, énergie et contemplation. Ou couleurs numériques et encre de Chine.

L’Année de la comète, Clément Vuillier, Éd. 2024, 48 pages, 28 euros ; Les Succulentes, 3 Fois par jour, 28 pages, 18 euros. Lire aussi Le Voyage céleste extatique, Éd. 2024, 2015 ; Talweg, 3 Fois par jour, 2014 ; revue Reliefs n° 9, « Fleuves ».

Littérature
Temps de lecture : 5 minutes
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