Curieux et ambigu Malaparte…
D’abord correspondant de guerre suivant la Wehrmacht, l’écrivain se raconte dans un Journal secret jusqu’à son retour en Italie après la chute du régime mussolinien. Un texte inédit.
dans l’hebdo N° 1558 Acheter ce numéro
On s’étonnera peut-être de lire dans Politis un article (sans animosité) consacré à Curzio Malaparte (1898-1957). Plus encore en Italie qu’en France, l’écrivain et journaliste a une réputation littéraire et surtout politique plutôt sulfureuse. Celle d’un personnage qui s’est fourvoyé, après ses engouements bellicistes durant la Première Guerre mondiale, vers un fascisme radical, ou « intégral », comme il le souhaite alors, jusqu’à une critique tout aussi aiguë du Duce qui le fait condamner au confino (relégation) sur l’île pauvre de Lipari, au large de la Sicile – le même type de peine que celle subie par Carlo Levi, racontée dans Le Christ s’est arrêté à Eboli. Mais Malaparte ne fut jamais un vrai antifasciste militant ; ce fut même le contraire (1).
Jeune intellectuel révolté mais brûlant d’en découdre, le jeune Kurt Erich Suckert, né en Toscane d’un père allemand et d’une mère italienne, s’engage dans l’armée en 1914. Après quatre ans de guerre, le fascisme a le vent en poupe, notamment parmi les anciens combattants. Curzio Malaparte – il adopte alors ce nom – y voit l’espoir d’une véritable révolution sociale, se réappropriant les espoirs déçus du Risorgimento, le mouvement pour l’unité italienne du XIXe siècle. Il fonde une revue, qui critique bientôt vertement le régime, qu’il accuse de « protéger la société libérale ». Après sa peine de confino, réduite grâce à ses relations au sein du pouvoir, il devient reporter international pour des grands journaux, doit s’aligner sur les positions du régime, allié à partir de 1938 avec l’Allemagne d’Adolf Hitler.
Mais dans ce Journal secret, inédit en français (mais jamais publié non plus en Italie à ce jour), remarquablement traduit par Stéphanie Laporte, spécialiste de la littérature italienne de cette époque, Malaparte peut laisser libre cours à un sens critique et à une grande liberté de ton qui en font un témoin précieux sur des épisodes de la guerre parfois fort mal documentés. Il suit ainsi l’armée italienne dans les Balkans puis la Wehrmacht sur le front de l’Est, où, journaliste du principal allié de l’Allemagne, il peut fréquenter de hauts dignitaires nazis, « visite » certains ghettos juifs en Pologne, découvre les pogroms et la « Shoah par balles », mais aussi les exactions de l’Armée rouge.
Après des reportages jusqu’au-delà du cercle polaire en Finlande, en guerre contre les Soviétiques, il apprend la chute de Mussolini en juillet 1943, alors que les Alliés viennent de débarquer en Sicile. Rentré dans sa légendaire villa de Capri (2), il décrit le Mezzogiorno à peine libéré par les Anglo-Américains, tandis qu’il est en train d’écrire son roman Kaputt, où il décrit la cruauté nazie à l’Est, dont il a été témoin. Un document exceptionnel.
Journal secret (1941-1944) Curzio Malaparte, traduit de l’italien, édité et présenté par Stéphanie Laporte, Quai Voltaire, 336 pages, 23,70 euros.
(1) Pour mieux connaître son parcours complexe, on se reportera au récent et passionnant Cahier Curzio Malaparte, paru en octobre 2018 (éditions de L’Herne, 336 pages, 33 euros).
(2) Rendue célèbre plus tard comme décor du Mépris de Jean-Luc Godard.