Elsa Faucillon : « Les valeurs de gauche peuvent disparaître »

Elsa Faucillon, députée PCF, est coauteure de l’appel à un « big bang » de la gauche. Elle milite pour le rapprochement de tous les mouvements qui se situent de ce côté de l’échiquier – et pas seulement les partis.

Agathe Mercante  • 26 juin 2019 abonnés
Elsa Faucillon : « Les valeurs de gauche peuvent disparaître »

Électron libre du Parti communiste – n’était-elle pas favorable à des alliances avec La France insoumise ? –, Elsa Faucillon, députée des Hauts-de-Seine, détonne dans le paysage. Avec la députée insoumise Clémentine Autain (Seine-Saint-Denis), elle a lancé un appel à un « big bang » de la gauche (1), destiné à réorganiser ce bord de l’échiquier politique au lendemain des (catastrophiques) élections européennes. Le 30 juin, leur « big bang » se réunira au cirque Romanès, à Paris.

Qu’attendez-vous de ce rendez-vous ?

Elsa Faucillon : Nous avons pu vérifier, par le soutien à notre appel et l’écho qu’il a suscité, que l’état de choc après les élections européennes était largement partagé. Il y a une aspiration à dépasser le scénario qui s’installe – et qui perdurera – d’un duo-duel entre néofachos et néolibéraux. Nous sentons une envie de bâtir du commun, l’idée que chacun en soit acteur ou actrice à égalité. Au sein des structures politiques et chez les militants, il y a un ras-le-bol du fait que les questions stratégiques ne se tranchent qu’au sommet des organisations. Avec Clémentine Autain, nous souhaitons que le 30 juin soit un moment de lancement. Pour que des initiatives comme celle du cirque Romanès émergent un peu partout dans le pays. Nous voulons lutter contre l’éparpillement des forces de gauche, mais nous sommes conscientes que réunir ne suffira pas : il y a besoin, à partir d’un rassemblement d’individus engagés politiquement, socialement et culturellement, d’annoncer que nous ne ferons pas comme si tout allait continuer comme avant. On a besoin de se rencontrer, de s’engueuler sans que ce soit grave. Ce que je crois, en tant que signataire et initiatrice de cet appel, c’est qu’on a beaucoup à changer. Et, si l’on veut construire un nouvel imaginaire politique, on a du pain sur la planche. La bataille pour un référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris peut être une belle occasion. Mais il n’est pas question que d’une somme de sujets, il y a une articulation, une cohérence à bâtir autour des questions du travail, de sa place dans la société, celles liées à la production, à l’écologie, à la démocratie… Avancer sur ces questions implique de le faire dans le respect de la diversité, c’est une condition du rayonnement et donc d’un potentiel majoritaire.

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La France insoumise et EELV ne sont pourtant pas signataires. Cela n’affaiblit-il pas la force de votre appel ?

Je ne suis pas surprise que nous soyons accueillies fraîchement par les responsables des organisations politiques. Sous le sous-titre « big bang » est annoncé que « Le pire serait de continuer comme avant », ça peut sonner comme un coup semonce. Chez les écologistes, je note que l’appel « Convergeons (2) » renvoie aussi à la rencontre du 30 juin. Mais l’idée n’est pas de chercher uniquement une addition d’organisations. Ça n’empêche que les responsables et les militants des orgas ont besoin de se parler. Il y a d’ailleurs la proposition d’Olivier Besancenot de créer un lieu permanent où les organisations politiques et syndicales puissent échanger. Je pense que c’est nécessaire et je regarde évidemment positivement ce genre d’appel. Quid également des suites de la proposition de « fédération populaire » de Jean-Luc Mélenchon ? Dans la période que nous traversons, il vaut mieux en avoir trop que pas assez.

Au Figaro, vous affirmiez ne pas croire à la réussite d’alliances entre les organisations. Comment, alors, réunir la gauche ?

Je ne crois pas au modèle d’« union de la gauche », je pense qu’il n’est plus opérant aujourd’hui. Ce que l’on a à faire n’est pas seulement d’additionner, mais de mobiliser la société. On voit bien que la mobilisation de l’électorat de droite se fait – même si LR est à la ramasse. Macron le récupère et il en est le chef légitime. On peut même dire que le duel qui s’est imposé entre LREM et le RN est dû à la mobilisation de cet électorat de droite. La question n’est pas tout à fait la même à gauche, où on constate à la fois un éparpillement, une volatilité et beaucoup d’abstention. Bien évidemment, il y a un besoin de rassemblement, c’est un point important, mais cela ne suffit pas à répondre aux abstentionnistes et à reconnecter la gauche avec le mouvement social.

En ce sens, l’année 2019 a été à la fois enthousiasmante et déroutante. Elle a été marquée par des luttes de secteurs très divers et parfois extrêmement dures. Je pense évidemment au mouvement des gilets jaunes, qui s’est développé d’abord sur des aspirations sociales, mais en dehors du lieu de travail, et pas en adresse aux patrons ; des jeunes pour le climat qui se mettent en mouvement en dehors de toute organisation… La dichotomie entre luttes sociales et lutte politique a toujours été questionnée, mais là il y a un fossé qui semble se creuser, comme une déconnexion. Dès lors, il faut travailler à de nouvelles articulations, de nouvelles médiations, et certainement pas restaurer celles qui avaient cours avant. Tout reste à inventer.

Ces mouvements sociaux affichent pourtant une grande défiance à l’égard des politiques…

C’est vrai et je crois avoir de la lucidité sur ce point. Il y a de la méfiance, une peur de la récupération. Cette question de la défiance est aussi particulièrement vivace dans les classes populaires, nous arrivons parfois à la surmonter. Je pense à la campagne pour la présidentielle de 2017. Nous devons être en capacité d’analyser ce qui a fait le succès de cette campagne. Que la gauche de transformation sociale ait été en capacité de rassembler de larges parties des catégories populaires est tout de même un phénomène extrêmement important. Il me semble que c’est un point d’appui précieux.

Lors de cette campagne, j’ai eu des frissons quand j’ai vu l’espoir qu’elle soulevait chez les gens. J’ai vu des catégories sociales diverses, mais surtout les classes populaires, pointer le besoin de rupture avec le système financier, avec les oppressions. Le fait qu’elles aient été à ce point-là en mesure d’identifier l’enjeu et de porter leurs espoirs sur un projet positif, sur un récit positif, me semble être un point sur lequel on doit s’interroger politiquement aujourd’hui. Articuler les colères et conscientiser les dominations, c’est le travail de la gauche de transformation sociale, mais aussi des organisations, des syndicats et des associations.

La question n’est pas simplement d’être anticapitaliste, antiraciste, de lutter contre le patriarcat, mais de pouvoir conscientiser ces enjeux et d’en extraire une dynamique. La question n’est pas de ressusciter le monde ouvrier tel qu’il a été, mais de conscientiser un combat de classe, et ce travail ne peut s’appuyer que sur une cohérence, un projet d’espoir et de nouvelles formes d’organisation. Il faut mettre en place un espace politique qui permette à ces classes populaires d’être aussi pleinement actrices. Je pense d’ailleurs que la crise politique que nous traversons est avant tout une crise des médiations.

Dans l’appel, vous indiquez souhaiter « bâtir du commun ». Qu’entendez-vous par là ?

Souvent quand on pense aux biens communs on pense à une liste : l’eau, les aéroports, le logement, l’éducation… que l’on doit défendre face aux prétentions du marché. Défendre les services publics, décider démocratiquement de leur avenir et de leur gestion, c’est évidement vital. Mais aller vers une société des communs, c’est accepter que la mise en commun concerne toutes les activités, quel que soit le secteur de production. Cela nécessite de sortir d’une logique où quelques capitalistes s’approprient notre travail.

Dans « communs », il y a aussi « programme commun » avec les autres forces de gauche ?

Je ne reprendrai pas ce mot parce qu’il est trop marqué historiquement. Nous ne sommes pas là pour commencer à remettre des digues sur le périmètre du rassemblement que nous souhaitons, mais, ce qui est sûr, c’est que, pour nous, la rupture avec les politiques libérales menées par l’appareil et par le gouvernement socialiste du précédent mandat doit être très claire. Le mot « gauche », par ailleurs, n’est pas un drapeau qu’il suffirait de brandir pour prouver quelque chose. Ce mot a été sali. Il est démonétisé. On sent bien qu’il incarne à la fois une trahison et un repère de valeurs. Au sein du « big bang », nous nous posons des questions sur ce mot et je ne pense pas que ce soit un problème qu’on en débatte.

En revanche, sur les valeurs de gauche, nous sommes inquiets qu’elles puissent disparaître du paysage politique. Cette inquiétude se renforce quand on entend Marine Le Pen, au soir des élections européennes, se présenter comme la potentielle alternance à Emmanuel Macron. Remplir de sens le mot « gauche » et créer l’espoir face au ressentiment, c’est le chemin.

Le référendum sur la privatisation d’ADP peut-il être une mise en pratique de la construction de ce « commun » ?

C’est indéniablement une bataille sur laquelle il ne faut pas mégoter en termes de rassemblement, il faut qu’on y mette toutes nos forces. Nous avons des choses à dire et nous devons présenter un projet de rupture avec le système capitaliste. Cette volonté de privatisation est le fruit des politiques néolibérales. Alors, certes, nous avons obtenu que les Français soient consultés sur la question avec des soutiens très divers – la droite notamment – et je pense que c’était la condition pour y arriver. Il n’empêche que nous avons une vision bien différente de l’appareil d’État, des frontières, de la question de la souveraineté et de l’écologie. C’est une belle occasion pour les citoyens de ce pays de se prononcer sur un sujet majeur et stratégique, et c’est aussi une belle occasion pour que chacun prenne sa part, les associations, les organisations syndicales, les salariés… La privatisation d’un aéroport, c’est un enjeu environnemental ! Je pense que tout ça peut unir du monde. Et puis il y a une forte aspiration démocratique à pouvoir décider aussi.


(1) Tribune parue dans Le Monde, le 4 juin.

(2) Tribune publiée sur le site internet de Libération le 5 juin et qui comptait comme signataires Alain Coulombel (secrétaire national adjoint EELV) ou encore Michèle Rivasi (eurodéputée EELV).

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