La danse de demain
Du 17 au 28 juin, le Centre national de la danse propose un événement foisonnant, Camping, au terme duquel Mathilde Monnier quittera la direction du lieu.
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Depuis 2015, le Centre national de la danse (CND) – implanté à Pantin (Seine-Saint-Denis), au bord du canal de l’Ourcq – a pris l’habitude de terminer sa saison avec un vaste Camping. Conçu comme un espace d’expérimentation et de rencontre, celui-ci se déploie une dizaine de jours au CND et dans divers lieux partenaires (1). Il accueille en son sein non seulement des spectacles, mais également un forum international, des tables rondes, des projections, des rendez-vous autour de la santé, des fêtes…
Parmi la quinzaine de spectacles au programme de cette cinquième édition figurent notamment Fruits of Labor, intense concert-performance de Miet Warlop, Body of Work, nouvelle pièce du jeune chorégraphe américain Daniel Linehan (en première française), Izumi, un solo de la danseuse et chorégraphe japonaise Rihoko Sato (en création), et plusieurs pièces de répertoire dont Hauts Cris (miniature) de Vincent Dupont.
En outre, une quarantaine d’ateliers sont proposés à l’attention de 800 « campeurs » venus du monde entier : 460 danseurs professionnels et 340 étudiants issus de 30 écoles d’art. La manifestation permet ainsi d’établir un grand état des lieux de la danse contemporaine à l’échelle internationale. « C’est un moment important pour prendre conscience de la réalité des uns et des autres, découvrir de nouvelles initiatives stimulantes au-delà de la France et envisager à quoi va – ou pourrait – ressembler la danse de demain », explique Mathilde Monnier, directrice du CND et instigatrice de Camping. « À la base, il y a vraiment le désir d’inviter des acteurs chorégraphiques du monde entier pour leur permettre de s’exprimer et de témoigner de la situation dans leur pays. Cela permet de constater des écarts parfois impressionnants d’un pays à l’autre. Camping fait aussi se rencontrer plusieurs générations, donne à entendre la parole des jeunes, qui ont une vision tout autre du présent et de l’avenir. »
En activité depuis le début des années 1980, auteure de nombreuses pièces, Mathilde Monnier compte parmi les figures majeures de la danse contemporaine en France. Après avoir dirigé pendant vingt ans le Centre chorégraphique national (CCN) de Montpellier, elle a été nommée, fin 2013, à la tête du CND, institution créée en 1998 et placée sous la tutelle du ministère de la Culture et de la Communication. Plus encore que les CCN, dévolus avant tout à la création, le CND assume d’importantes missions pédagogiques. Fin juin, au terme de Camping, Mathilde Monnier quittera ses fonctions six mois avant le terme de son deuxième mandat – qui devait normalement courir jusqu’en décembre.
« J’ai beaucoup bataillé pour faire reconnaître pleinement ma position d’artiste, qui n’a jamais été acceptée par le ministère de la Culture, explique la chorégraphe. Depuis que je suis arrivée à la direction du CND, il y a eu cinq ministres de la Culture – ce qui ne facilite pas les choses. À chaque fois, il faut se réadapter et reconstruire un dialogue avec une nouvelle personne et de nouvelles équipes. Cette instabilité constante empêche d’approfondir la réflexion, notamment sur la question de savoir si les artistes ont une légitimité pour diriger un établissement public. Je n’avais pas envie de continuer à évoluer dans ce flou statutaire. Je quitte le CND car j’ai envie de pouvoir me consacrer totalement à la création. On ne peut pas être artiste seulement de 5 à 7 ou le week-end. »
Durant ses presque six années à la tête du CND, Mathilde Monnier a beaucoup œuvré pour rendre le lieu plus identifiable et accessible, notamment via de nouveaux rendez-vous. Outre Camping, on peut citer Caravane, une déclinaison mobile du CND pouvant se déplacer en France ou à l’étranger, et Occupation artistique, un événement de deux jours durant lequel tous les espaces du CND sont investis par une autre structure active dans le domaine de la danse.
« Je pense, en tout cas j’espère, que le CND n’est plus vu seulement comme un lieu réservé aux gens de la profession, que le public se l’est davantage approprié, qu’il y vient plus facilement et qu’il en distingue mieux les missions. Pour moi, il était vraiment important de faire comprendre ce qu’est le CND et à quoi il peut servir », poursuit Mathilde Monnier.
Au-delà des murs du CND, Mathilde Monnier porte un regard plutôt critique sur la politique culturelle menée dans l’Hexagone. « Depuis les années 1980, des outils essentiels ont été créés en matière de politique culturelle, notamment dans le secteur de la danse, mais tout cela reste très institutionnel et centralisé, pointe la chorégraphe. À présent, j’ai le sentiment qu’il faudrait imaginer des dispositifs beaucoup plus légers et flexibles, mettre en place un nouveau plan plus en phase avec la réalité d’aujourd’hui, par exemple en soutenant davantage des structures d’un autre type comme les friches ou les lieux mixtes. »
Quant à la scène chorégraphique contemporaine, elle lui apparaît extrêmement vivante et éclatée – une situation positive qui revêt aussi une dimension négative. « Beaucoup de jeunes artistes émergent, porteurs de propositions très diverses, sans qu’on les inscrive dans des courants particuliers comme on a pu le faire dans les années 1980 ou 1990, observe Mathilde Monnier. La scène actuelle me semble vraiment plurielle, riche de multiples expressions personnelles, mais les acteurs de la danse, nettement plus nombreux aujourd’hui, sont moins fédérés entre eux. À mes yeux, il leur manque la dynamique pour prendre la parole, défendre leur position, affirmer une expression collective. »
Camping, du 17 au 28 juin à Pantin et en Île-de-France. www.cnd.fr
(1) Un Camping modèle réduit est aussi proposé à Lyon du 24 au 28 juin et un autre aura lieu à Taipei (Taïwan) en novembre – d’autres extensions étant possibles à l’avenir.