La poudrière moyen-orientale
Les grands principes proclamés par Trump et ses amis n’ont en réalité que deux motivations : le pétrole et le soutien aux colons israéliens qui rêvent de liquider le Hezbollah pro-iranien.
dans l’hebdo N° 1558 Acheter ce numéro
Sommes-nous à la veille d’une nouvelle « guerre américaine » au Moyen-Orient ? L’attaque contre deux tankers, le 13 juin dans la mer d’Oman, immédiatement attribuée à l’Iran, et les réactions qu’elle a suscitées ont donné consistance à cette funeste hypothèse. Après la publication, en guise de preuve, d’une série de photos, aussi floues politiquement que techniquement, l’envoi lundi par Washington d’un millier de soldats dans la région nous rapproche un peu plus du désastre. Cela ressemble bigrement à une machination. De la dépêche d’Ems à la fiole vide de Colin Powell qui, en 2003, servit de prétexte à l’invasion de l’Irak, on ne compte plus les guerres qui ont été provoquées par ce genre de coups tordus. Cette fois encore, les risques sont considérables. Y compris pour les pyromanes et leur économie pétrolière.
Quand deux bombinettes qui ont entaillé les flancs de monstres des mers ont suffi à faire grimper les cours du pétrole, on imagine ce que ferait un conflit généralisé. Ce serait un bien grand paradoxe de paralyser le détroit d’Ormuz pendant des mois au prétexte d’avoir voulu le « sécuriser ». Mais nous sommes assez instruits par le passé pour savoir que la raison n’est pas toujours au pouvoir. Car trois pays au moins rêvent de régler son compte au régime des mollahs, quel qu’en soit le prix : les États-Unis, l’Arabie saoudite et, à peine plus à l’écart mais pas moins pousse-au-crime, l’Israël de Benyamin Netanyahou et des colons.
Ceux-là n’ignorent pas que les risques ne sont pas seulement économiques. Les États-Unis de George Bush n’ont eu, certes, aucun mal à faire tomber Saddam Hussein, mais leur victoire a provoqué des catastrophes en cascade dont le monde n’est pas près de se remettre. Malgré cela, l’idéologie, façon « choc des civilisations », inspire toujours des personnages de l’entourage de Trump, comme le secrétaire d’État Mike Pompeo, et son collègue de la Sécurité nationale, John Bolton, l’homme qui prévoyait en 2017 que l’on « célèbrerait » la fin du régime des mollahs « avant 2019 ». Un chercheur du très indépendant think tank International Crisis Group, Ali Vaez, ne prend d’ailleurs pas la menace à la légère. Pour lui, il serait « miraculeux » qu’une guerre n’éclate pas « dans les deux ans ». En attendant, la machination suit son cours. Certes, tout est possible, y compris une provocation des gardiens de la Révolution voulant mettre en difficulté le régime de Téhéran. Mais il est infiniment peu probable que le pouvoir iranien lui-même ait organisé une attaque contre un pétrolier japonais au moment où le président Rohani recevait le Premier ministre japonais, Shinzô Abe, venu jouer les médiateurs. Une médiation dont les Iraniens ont bien besoin alors que le blocus organisé par Trump commence à les asphyxier.
Il faut évidemment souhaiter, comme Shirin Ebadi (lire notre dossier), un autre système pour le peuple iranien. On peut rêver d’une vraie démocratie, comme on pouvait appeler de nos vœux la fin de Saddam Hussein en Irak. Mais nous savons que les « révolutions » exportées par les docteurs Folamour américains sont pires que le « Mal » qu’elles prétendent combattre. Toute la complexité du monde actuel est dans cette histoire. Le Bien et le Mal, ces catégories que les intégristes de tout bord aiment tant exalter, sont décidément trop intimement mêlées. Car si le régime iranien est dans le collimateur des États-Unis, ce n’est surtout pas pour de bonnes raisons. Ce n’est pas parce qu’il a été complice de Bachar Al-Assad, le pire criminel du Moyen-Orient, ni parce qu’il opprime son peuple. Le régime iranien n’est pas pire que la dynastie des Saoud. Les grands principes proclamés par Donald Trump et ses amis n’ont en réalité que deux motivations : le pétrole, dont les États-Unis veulent avoir la maîtrise, comme leur allié saoudien, et le soutien aux colons israéliens qui rêvent de liquider le Hezbollah pro-iranien pour mener à bien leur éternel projet d’en finir avec la question palestinienne.
Accessoirement, les événements actuels risquent d’alimenter encore un peu plus la paranoïa complotiste, cette gangrène morale. Certains y verront sûrement la « preuve » que les attaques chimiques contre le peuple syrien n’étaient pas l’œuvre de Bachar Al-Assad, mais des rebelles et de la CIA. Qui ment un jour, ment toujours. Et ils feront bien d’autres démonstrations tout aussi alambiquées… Et puis, il y a l’Europe. En face des boutefeux, on pourrait espérer une réaction. Les Européens n’ignorent pas que l’enchaînement des événements actuels n’a qu’un point de départ : la dénonciation par Donald Trump de l’accord sur le nucléaire iranien signé par son prédécesseur. Tout le reste découle de cette décision unilatérale imposée à la terre entière. Ils en sont aussi les victimes. Ce qu’on osait, autrefois, appeler « l’impérialisme » est ici à son comble. Mais l’Union européenne étale une impuissance qui ressemble à de la soumission. Ses dirigeants préfèrent « mettre en garde » l’Iran contre la reprise du chantier nucléaire. Les mêmes se taisaient lorsque le régime des mollahs, allié à la Russie, anéantissaient la rébellion syrienne. Ce qui s’appelle être toujours du côté du manche.
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