Le maire de Langouët déclare la guerre aux pesticides
En vertu d’un arrêté municipal promulgué le 18 mai, l’épandage de pesticides à proximité des habitations de Langouët (Ille-et-Vilaine) est désormais interdit. Le maire de cette commune de 600 habitants rêve de le voir faire jurisprudence.
Interdire l’utilisation de tout pesticide à proximité de chez soi ? Le rêve est devenu réalité pour les habitants de Langouët, village à 20 km au nord de Rennes (Ille-et-Vilaine). Daniel Cueff, le maire de cette commune très écolo, a signé le 18 mai un arrêté anti-pesticides. L’épandage de produits phytopharmaceutiques est désormais interdit sur le territoire municipal « à une distance inférieure à 150 mètres de toute parcelle cadastrale comprenant un bâtiment à usage d’habitation ou professionnel ». Dans les faits, en raison de la dispersion des habitations de cette commune rurale, l’interdiction s’étendra à presque tout le territoire.
À la genèse de la décision, une opération menée dans la commune par les « pisseurs involontaires de glyphosate » qui a révélé des taux de contamination par la substance active 16 à 17 fois supérieurs à la norme. « Et ce malgré une alimentation bio ! fulmine le maire. Le principal vecteur de contamination est donc l’air. Il est intolérable que les habitants respirent des pesticides chimiques sans le vouloir. Cela constitue une atteinte aux libertés individuelles : les gens ne veulent pas se faire empoisonner par les pesticides. »
Un constat partagé par les élus écologistes de la ville de Rennes, qui appellent la mairie de la capitale bretonne à suivre l’exemple de Langouët en prenant à son tour un arrêté anti-pesticides. « À notre échelle et de notre place d’élu·e·s municipaux, nous avons la capacité de limiter l’utilisation des pesticides, affirment Gaëlle Rougier et Matthieu Theurier, qui coprésident le groupe écologiste et citoyen de Rennes. C’est une question de santé publique, c’est une question de responsabilité au regard des générations futures. »
Un arrêté « illégal » ?
Si l’arrêté a été applaudi par la majeure partie des 600 Langouëtiens, il est loin de faire l’unanimité. Les agriculteurs conventionnels de la commune en particulier sont « verts de rage », selon les dires du maire, tandis que ceux qui se sont convertis au bio sont « fous de joie ». En effet, en vertu de la législation nationale, c’est aux producteurs bio qu’il revient de planter des haies censées protéger leurs cultures de la pollution des autres exploitations. Plus pondérée, la Confédération paysanne dénonce un arrêté « qui met des paysans en difficulté […] mais peut-être précurseur ». Dans un communiqué, le syndicat agricole exhorte ainsi les agriculteurs à « arrêter de faire l’autruche : il faut sortir rapidement des pesticides […] en soutenant techniquement et financièrement les paysans ».
La préfète d’Ille-et-Vilaine, Michèle Kirry, dénonce quant à elle un arrêté « entaché d’illégalité ». L’encadrement de l’utilisation de produits phytosanitaires est une compétence nationale, qui découle d’une directive européenne. « Seul le ministre de l’Agriculture peut [au titre de ses pouvoirs de police spéciale] prendre toute mesure d’interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l’utilisation et la détention de ce type de produits », explique la préfète. Toutefois, le maire a la possibilité d’intervenir sur sa commune au titre de ses pouvoirs de police générale en cas de circonstances particulières ou de péril imminent. Des circonstances « nullement démontrées dans ce cas précis », selon la préfète. Le maire de Langouët a donc été sommé de retirer son arrêté d’ici deux mois, sous peine de poursuites devant le tribunal administratif.
Mais Daniel Cueff n’entend pas se laisser faire :
Je ne vais pas retirer mon arrêté. L’annuler reviendrait à dire qu’il n’y a pas de problème, que nous nous sommes trompés. Le gouvernement retardant sans cesse les décisions sur l’interdiction des pesticides, il est de mon devoir de maire de pallier les carences de l’État en faisant tout ce qui est en mon pouvoir pour protéger les habitants.
Juridiquement, l’arrêté s’appuie à la fois sur le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, garanti par l’article 1er de la Constitution, et sur l’application du principe de précaution face à des substances potentiellement cancérigènes et dommageables pour l’environnement.
« Jusqu’ici, tous les arrêtés anti-pesticides ont été retoqués »
Depuis deux décennies, Daniel Cueff n’a de cesse d’innover localement en faveur de l’environnement : cantine 100 % bio en 2004, construction d’éco-logements sociaux, production d’électricité grâce à des panneaux photovoltaïques pour rendre l’ensemble des bâtiments publics autosuffisants en énergie… La liste est longue et non exhaustive. Dès son investiture à la mairie en 1999, le maire a banni les pesticides de l’entretien des espaces verts municipaux. « Bien avant la réglementation nationale sur le sujet », souligne-t-il. La loi Labbé, votée en 2014, n’a proscrit qu’à partir de 2017 l’usage des produits phytosanitaires par les personnes publiques – une interdiction étendue depuis 2019 aux particuliers. « Ne reste plus que l’utilisateur majeur des pesticides : l’agriculture », dénonce le maire.
« Ce n’est pas la première fois qu’un arrêté anti-pesticides est pris par un maire », tempère Nadine Lauverjat, coordinatrice de Générations futures. Château-Thierry (Aisne), Ruelle-sur-Touvre (Charente), et maintenant Langouët : « L’idée fait son chemin, poursuit Nadine Lauverjat, mais jusqu’ici, tous les arrêtés municipaux ont été retoqués par le tribunal administratif. » Pas de quoi inquiéter l’édile breton, qui prend pour exemple le tout premier mariage homosexuel, célébré en toute illégalité en 2004 par Noël Mamère, alors maire de Bègles (Gironde). « Sa transgression a fait polémique, mais c’est à partir des mêmes arguments que ceux qu’il a développé pour justifier sa décision que le mariage pour tous est entré dans la loi en 2013, constate Daniel Cueff. Par sa désobéissance, il a contribué à faire progresser la société. » Au point d’espérer un avenir similaire pour son arrêté anti-pesticides ? « Imaginez que, suite à une décision favorable du tribunal administratif, l’arrêté fasse jurisprudence… »
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