Le mouvement, pour réaliser la révolution citoyenne

Pour Francis Daspe, le choix réalisé par La France insoumise de se lancer dans la stratégie du mouvement ne relève pas du phénomène de mode. Il appartient à la catégorie des inflexions politiques majeures en capacité de remodeler profondément les conditions même de la politique.

Francis Daspe  • 5 juin 2019
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Le mouvement, pour réaliser la révolution citoyenne
© crédit photo : MARIE MAGNIN / HANS LUCAS

L’actualité politique se caractérise par des phénomènes de mode et des inflexions majeures. Distinguer les premiers des secondes n’est pas toujours chose aisée. Il en va de la forme mouvement dont il est aujourd’hui de bon ton de se prévaloir pour exciper à bon compte une forme de modernité. Le mouvement est en réalité pour beaucoup un OPNI, c’est-à-dire un objet politique non identifié. Il procède d’une tendance lourde, celle de la dévalorisation de la parole politique, et par voie de conséquence, de la démonétisation des partis politiques. Le focus a été mis depuis plusieurs années sur les insuffisances, réelles, des partis politiques. Ils sont parfois voués eux gémonies de manière hâtive. Toujours est-il que le surgissement des mouvements amène à se poser des interrogations bienvenues. Leur identification oblige à aborder trois questions fondamentales, celles de la stratégie, de l’action et de la démocratie.

Stabilité de la stratégie et des idées

L’articulation entre contenu et stratégie constitue une différence majeure avec un parti politique. Celui-ci rassemble dans une organisation des individus autour d’idées communes. À la suite de quoi ces individus déterminent collectivement une stratégie en vue de la diffusion de ces idées et de la conquête du pouvoir. Dans un mouvement, si le contenu doit bien évidemment être partagé en préalable, la stratégie est par ailleurs déjà déterminée : elle en est à l’origine, au même titre que le contenu. La France Insoumise a été ainsi lancée au début de l’année 2016 à partir de la stratégie populiste « fédérer le peuple » et du programme « L’Avenir en commun », la stratégie ayant même précédé la rédaction du programme. Il s’agissait alors de récuser les tentatives de rassemblement dans un cartel de partis et de logos, considérant que la politique n’est pas une question d’arithmétique mais de dynamique à créer. C’est donc la stratégie qui différencie, parmi d’autres éléments, le mouvement du parti.

Les conséquences ne sont pas anodines. Dans un parti, dès lors que l’on change la stratégie au gré des intérêts électoraux, on est amené mécaniquement à changer aussi les idées. D’où le sentiment de trahison et de renoncement tant de fois éprouvé, notamment avec la formule utilisée à l’envi par certains de « stratégie à géométrie variable afin de s’adapter aux spécificités locales ». Dans un mouvement, la stabilité de la stratégie garantit la solidité des idées. Sa modification impacte automatiquement et notoirement le programme.

De cette stabilité de la stratégie et des idées, peut alors découler la priorité donnée à l’action militante de terrain. Le déploiement dans les territoires permet de diffuser les idées et d’infuser au sein de la société. La France Insoumise est parvenue à le faire magistralement au moment de la présidentielle de 2017 en s’implantant en quelques mois dans le paysage politique.

Priorité à l’action militante de terrain

Des remarques liées au fonctionnement démocratique du mouvement ont été soulevées. Elles portent principalement sur deux aspects. Elles ont d’abord trait aux débats relatifs à la stratégie. Si on en change à l’occasion, cela devient de la tactique bassement électoraliste ou des gesticulations stériles. Si rien ne bouge en la matière, cela se transforme en un dogme figé. C’est entre ces deux écueils que doit être circonscrit le débat sur la stratégie, sans oublier d’indiquer régulièrement le rôle structurant d’une stratégie cohérente et constante dans l’identité du mouvement. Car le risque de dénaturer la stratégie est bien plus élevé que celui de la chloroformer, qui reste accessoire dès lors le mouvement est un organisme vivant. Sans quoi le mouvement devient autre et perd sa raison d’être en même temps que sa finalité.

L’autre demande en termes de fonctionnement quotidien concerne la possibilité d’élire des représentants locaux. Modalité a priori séduisante, mais redoutable pour peu que l’on se donne la peine de creuser les incidences. La généralisation d’élections internes signifierait le retour vers la logique des partis. Une grande partie de l’énergie militante, jusqu’alors orientée avec bonheur dans l’action militante de terrain, serait alors détournée vers des enjeux de pouvoir locaux et des intérêts boutiquiers peu glorieux. Ce serait également favoriser une pente localiste qui très souvent fait le lit de toute stratégie durable et cohérente. Ces travers mortifères sont à éviter absolument. Car sinon à quoi bon dire pis que pendre des partis politique (ce que je ne fais pas en distinguant rigoureusement leur nature et leurs réalités respectives afin de ne pas les utiliser à contre-emploi) si c’est pour revenir à leurs modalités de fonctionnement ? Qui plus est en retenant en priorité leurs travers les plus dommageables ?

Fédérer le peuple 

Les définitions incertaines et les compréhensions aléatoires de la nature et des finalités du mouvement n’aident pas à sortir par le haut de la crise globale du politique. C’est ainsi qu’il apparaît difficile de faire mouvement en voulant rassembler la gauche (dont le périmètre n’est de surcroît pas défini, ce qui accroît les risques de déboucher sur des accords « tuyaux de poêle » où au bout on se retrouve presque par inadvertance avec des alliés de circonstance improbables…) dans une logique de cartel. Ou pire, dans une resucée de la gauche plurielle n’osant pas avouer son nom.

Le choix réalisé par La France insoumise de se lancer dans la stratégie du mouvement ne relève pas du phénomène de mode. Il appartient à la catégorie des inflexions politiques majeures en capacité de remodeler profondément les conditions même de la politique. La stratégie de fédérer le peuple est bien plus propulsive que le rassemblement de la gauche. Tout simplement parce que les limites du peuple sont bien plus élargies et fécondes que celles, rétrécies par ce qu’elle est hélas devenue, de la gauche des cartels, des rentes et des calculs électoralistes. La fidélité à l’essence du mouvement représente bien la condition nécessaire au surgissement de la révolution citoyenne. Loin des faibles ambitions de n’être que l’accent social-démocrate, plus ou moins contestataire, plus ou moins hardi, plus ou moins écologiste en fonction des tempéraments (et des intérêts) de chacun, d’un système pourtant presque unanimement reconnu à bout de souffle… 

Francis Daspe est animateur de groupe d’action de La France Insoumise. Il est aussi auteur de La Révolution citoyenne au cœur (Éric Jamet éditeur, octobre 2017).

Publié dans
Tribunes

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