Les écolos et la gauche

L’urgence est évidemment climatique. Mais elle est aussi sociale et politique. Et les nouveaux paradigmes antiproductivistes, en rupture avec la religion de la croissance, sont admis aujourd’hui par une bonne partie de la gauche, y compris La France insoumise.

Denis Sieffert  • 5 juin 2019
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Les écolos et la gauche
© crédit photo : KENZO TRIBOUILLARD / AFP

D’un de ses ministres, François Mitterrand disait qu’il était « suffisant autant qu’insuffisant ». La formule vacharde, bien dans la tradition de son auteur, pourrait s’appliquer à Laurent Wauquiez. Encore confit de certitudes il y a seulement une dizaine de jours, l’homme à la parka rouge est aujourd’hui à terre. L’éphémère leader de la droite a été victime de sa suffisance et de son aveuglement. Il s’est laissé abuser par le « en même temps de gauche et de droite » d’Emmanuel Macron. Croyant en l’apparition d’un doux agneau de centre-gauche, Wauquiez s’est dit, avec un cynisme de maquignon de la politique, qu’il était urgent d’aller pêcher dans les eaux troubles du Rassemblement national. Un pur calcul de marketing. Mais pendant qu’il perdait son âme à disputer le marché de la xénophobie à Marine Le Pen, il se faisait chiper son fonds de commerce néolibéral par Macron. C’est beau comme une fable. Le 26 mai, il a tout simplement découvert, mais un peu tard, que La République en marche n’était qu’un parti banalement de droite.

Au fond, depuis l’affaire du « costard » de Fillon, sans laquelle rien de tout ça ne serait arrivé, la droite n’a fait que changer d’adresse et de sigle. Rien de plus, car la sociologie et les intérêts de classe sont moins frivoles que les aventures individuelles. La leçon vaut également à gauche. Celle-ci ne peut pas disparaître par décret. Gare aux jugements précipités ! L’héritage des révolutionnaires de février 1848, des communards, des dreyfusards, de Jaurès et du Front populaire ne s’est pas dissous dans l’histoire simplement parce que MM. Valls et Hollande sont passés par là. D’autres, avant eux – le Guy Mollet de la répression en Algérie, pour ne citer que lui – avaient déjà sérieusement abimé l’image de la gauche. Elle s’en était remise.

Aujourd’hui, la gauche existe tellement qu’il y en a plusieurs. Et il en a toujours été ainsi. On peut décider de lui donner un autre nom, mais la chose subsiste. Elle résiste même. Pourtant, la question de son existence a été posée par Mélenchon. Et voilà qu’elle est posée aujourd’hui en des termes étonnamment semblables par Jadot. Le leader d’Europe Écologie-Les Verts, tout auréolé de son bon score à l’élection européenne, déploie une folle énergie à nier une évidence. Il ne veut pas être « de gauche ». Il n’a rien à voir avec cette engeance. Le secrétaire national de son mouvement, David Cormand, homme apprécié pourtant pour sa lucidité et sa modération, use des mêmes éléments de langage dans Le JDD quand il balaie d’un revers de main cette gauche « des siècles passés ». Admirons le pluriel…

Décidément, les 13 pour cent du 26 mai ont une force propulsive insoupçonnée ! Essayons cependant de garder la mesure de l’événement. Et n’oublions pas les belles pages consacrées par Marc Bloch au « temps historique », celui qui ne se confond pas avec l’écume de l’actualité. Un temps long, parfois facétieux, et qui n’est pas avare en retournements. Assurément, le score des écologistes est une bonne nouvelle. Mais les écolos ont besoin d’alliés. Et c’est de ce côté-là qu’ils les trouveront puisqu’ils n’entendent pas, apparemment, céder aux sirènes macronistes, comme leurs amis Canfin et Cohn-Bendit. Alors, plutôt que d’affirmer urbi et orbi que la gauche est définitivement productiviste, mieux vaudrait reconnaître qu’elle évolue dans le bon sens.

Justement, la gauche, celle qui s’assume, et ne cesse de travailler à l’indispensable synthèse entre le social et l’écologique, vient de produire un texte prometteur. Un appel au « big bang » que les écologistes, et pas seulement eux, devraient entendre (1). « Big bang » : comprendre qu’il faut d’urgence créer les conditions d’une alternative avec la gauche et l’écologie politique. On en est loin, souligne le millier de signataires de l’appel. Trop loin, alors que « le pouvoir en place et la droite fascisante dominent la scène politique dans un face-à-face menaçant où chacun se nourrit du rejet de l’autre et le renforce ».

Mais l’appel, cosigné notamment par les députées Clémentine Autain et Elsa Faucillon, ne ressemble à aucun autre parce qu’il use d’un vocabulaire inhabituel dans ce genre d’exercice. Les comportements humains y sont traités en tant que faits politiques. « Se parler, s’écouter, se respecter », dit le texte, « loin de toute logique de mise au pas ». Il est possible que les oreilles de Mélenchon sifflent. Mais il n’est pas inutile que les écologistes, en proie à une légère ivresse de l’altitude, entendent également le message. Car l’alternative ne peut être que pluraliste. Et les défis sont multiples. L’urgence est évidemment climatique. Mais elle est aussi sociale et politique. Et les nouveaux paradigmes antiproductivistes, en rupture avec la religion de la croissance, sont admis aujourd’hui par une bonne partie de la gauche, y compris La France insoumise. Si l’addition des sigles ne peut être une finalité, un dialogue fécond est en revanche indispensable.

Écoutez cet édito :


(1) Appel publié dans Le Monde daté du 5 juin, et disponible sur Politis.fr.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 5 minutes
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