Max Bird : Max le tenace
Sur YouTube, mais aussi sur scène, Max Bird mêle comique, pédagogie scientifique et engagement pour la biodiversité et le climat. Ébouriffant et rafraîchissant.
dans l’hebdo N° 1557 Acheter ce numéro
Dans son costume noir seulement orné d’une cravate verte, Max Bird pourrait passer pour un conférencier prêt à se lancer dans un long monologue universitaire. Une impression qui s’efface dès les premières secondes de son Encyclo-spectacle (1), habile mélange de rires, de sciences et de pédagogie. Pour preuve, à la fin du one-man-show, tout le monde sait enfin différencier un manchot d’un pingouin !
En 2015, cet ovni du monde de l’humour a fait le pari de la vulgarisation scientifique, car « il ne faut pas prendre le public pour un con, il est capable de rire de sujets qui peuvent paraître rébarbatifs ». Avec lui, le mythe d’Œdipe est présenté comme un blockbuster américain dans lequel la Pythie de Delphes a étrangement la voix de Jeanne Moreau et le Sphinx de Thèbes devient Jean-Pierre Foucault animant Qui veut gagner des millions ? Et pour expliquer les effets de l’alcool sur le corps humain, il imite le rôle primordial du foie, ce « MacGyver des organes vitaux », prêt à tout pour nous éviter une gueule de bois carabinée. Mime hors pair, doté d’un corps longiligne qui semble malléable à l’infini, il se transforme d’un coup en vélociraptor plus vrai que nature, puis devient un hiéroglyphe plus immobile que jamais.
Mythologie grecque, anatomie, Égypte ancienne, l’évolution darwinienne, les dinosaures… Max Bird a finalement décidé d’assumer ses passions de gosse, qu’il n’a jamais abandonnées. En 2016, il crée sa chaîne YouTube avec un concept de vidéos visant à « démolir » les idées reçues. Impossible de marcher sur l’eau ? Le rouge excite les taureaux ? Les moustiques sont attirés par la lumière ? Les zombies n’existent pas ? En quelques minutes, le youtubeur frénétique enchaîne les références scientifiques sur un ton toujours enjoué. « Le message global de la chaîne, c’est : prenez du recul, posez-vous des questions », résume-t-il.
Et les questions, Max Bird adore ça ! En particulier les plus farfelues, décalées, insensées. Mais ce qu’il préfère, c’est y répondre. Dès la sortie de l’adolescence, il a dû trouver la réponse qui orienterait son existence : comment construire sa vie quand on a déjà réalisé son rêve à 20 ans ? Le sien, c’était de devenir biologiste afin de vivre sa passion pour les oiseaux au quotidien. Son père, militaire, est muté en Guyane française alors qu’il n’a que 15 ans. Si ses parents hésitent, lui est partant immédiatement. Il sèche allégrement les cours et passe son temps à suivre les biologistes professionnels en expédition au fin fond de la jungle, le nez vers les cimes et l’appareil photo à la main. « Toute l’énergie qui anime l’adolescent de base pour augmenter ses chances de trouver un partenaire sexuel était totalement anesthésiée chez moi. La seule chose qui comptait, c’était d’augmenter mes chances d’approcher des oiseaux », théorise-t-il avec quelques années de recul.
Bac scientifique en poche, le jeune homme s’accorde une année sabbatique au cœur de la forêt amazonienne et photographie tout ce qui vole. À force de patience et d’audace, il tombe nez à bec avec l’oiseau le plus rare d’Amazonie : la harpie féroce (2). Dans son spectacle, Max Bird le survolté fait place au conteur pour nous transporter en Guyane, au cœur de la forêt amazonienne, happé par cet instant de grâce. « Je me suis retrouvé coauteur de publications scientifiques alors que je n’étais qu’au lycée, c’était un honneur pour le biologiste en herbe que j’étais. Et, avec la découverte de la harpie féroce, j’ai eu la sensation du boss de fin de jeu vidéo, la sensation que le rêve a été atteint, voire pulvérisé ! » Un déclic qui le pousse à abandonner ses études de biologie pour ne pas finir étouffé dans la routine universitaire. Il a envie d’être acteur, même s’il ne trouve pas l’idée crédible. « Mais comme mon expérience en Amazonie n’était pas crédible non plus, je me suis dit pourquoi pas, et je me suis lancé dans le théâtre. »
Chez le petit Maxime Déchelle – son vrai nom –, la curiosité n’a jamais été un vilain défaut. Enfant des années 1990, il a été bercé par l’émission culte de vulgarisation scientifique « C’est pas sorcier ». Une évidence pour quiconque regardait religieusement les émissions de Fred et Jamy. D’ailleurs, ce dernier n’a pas hésité à se glisser dans la peau d’un youtubeur le temps d’une vidéo sur la disparition des dinosaures. Un autre rêve de gosse réalisé pour Max Bird.
Cette obsession d’enfant ne l’a jamais quitté et a engendré d’autres passions. Son explication : le film Jurassic Park, qu’il a vu très jeune. « Encore aujourd’hui, je suis un gros taré des dinosaures », confie-t-il. Pour preuve, son sac à dos est une imitation très convaincante des piquants d’Ankylosaurus, « le dinosaure avec une massue au bout de la queue ! » Des dinosaures, il passe aux oiseaux, aux animaux dangereux et, logiquement, il arrive à l’Amazonie, car « c’est le meilleur endroit sur Terre au niveau de la biodiversité ». « Si les extraterrestres arrivent sur Terre, ils n’iront pas à New York ou à Paris, mais en Amazonie ! Il y a tout là-bas, c’est le générateur de vies. Nous ne sommes qu’un peu de moisi qui a poussé sur les bords du caillou », rigole-t-il.
Suivant la veine des youtubeurs qui ne racontent pas que leur vie, Max Bird trouve son public. Les vues grimpent rapidement, l’audience se transforme en communauté : sa chaîne compte actuellement près de 590 000 abonnés. Des « oisillons » – comme il les surnomme – dévoués : certains lui prêtent main-forte pour nourrir ses vidéos de références scientifiques pertinentes. Les notions de sources, de vérité et de transmission sont des réflexes précieux dans cette ère de fake news et de théories du complot en roue libre.
La communauté d’oisillons avertis s’est révélée particulièrement aux aguets et en quête de cohérence entre les discours et les actes. De nombreux commentaires pointaient le fait que, au début de chaque vidéo, Max Bird déchire une feuille de papier sur laquelle est inscrite l’idée reçue à éliminer. Cet amoureux de la forêt amazonienne serait-il pris en flagrant délit de destruction d’arbres ? Habile, il en a fait une vidéo sur les véritables causes de la déforestation.
Plus récemment, une vidéo tournée au Bénin a hérissé les plumes de certains fidèles. Visant à mettre en lumière le projet SoCa – coopération entre des chercheurs français et des pays du Sud pour décrypter pendant trois ans les mécanismes de séquestration du carbone dans le sol afin d’adapter les pratiques agricoles aux changements –, cette vidéo a été financée par la Fondation BNP Paribas, qui soutient le projet global.
Certains commentaires ont dénoncé l’opération de greenwashing de cette banque impliquée dans des projets valorisant les énergies fossiles. Max Bird s’est expliqué et reconnaît que sa propre prise de conscience -écologiste a profondément évolué ces derniers mois : « Vos retours me font tout de même considérer que le combat est aujourd’hui plus sérieux que ce que j’imaginais quand j’ai accepté ce projet il y a dix mois. » Avant la démission de Nicolas Hulot, les marches pour le climat, la pétition de l’Affaire du siècle, les campagnes YouTube « Il est encore temps » puis « On est prêt », auxquelles il a participé.
Une petite défiance qui prouve que sa voix commence à porter. Et son expertise sur la biodiversité à être reconnue : en avril dernier, il a animé à Paris la Nuit de la biodiversité. Tiraillé entre l’envie de rester grand public « pour ne pas s’adresser qu’aux convaincus » et celle de s’engager plus fortement, Max Bird n’assume pas vraiment – ou pas encore – d’être militant.
Au fil de la discussion, cependant, ses propos sont sans équivoque lorsqu’il pointe du doigt les « vrais utopistes » : « Ceux qui croient encore au système libéral capitaliste. » Selon lui, face aux derniers sceptiques, il faut miser davantage sur les faits et la disparition de la biodiversité pour choquer : « La science ne remplacera pas les abeilles. Il faut arrêter de faire croire aux gens que le progrès nous sauvera. »
Max Bird rêve que la Guyane de son adolescence se développe grâce à des filières alternatives (comme l’écotourisme ou la pêche) créant des emplois, tout en prônant la protection de la biodiversité. « Qu’on puisse se poser la question “l’Amazonie ou la croissance” me dépasse », lâche-t-il en repensant au démentiel projet de mine en Guyane, la Montagne d’or, qui pourrait détruire son havre de paix, celui de la harpie féroce et celui de milliers d’espèces. Pour le moment, tous ses rêves se sont réalisés. Espérons que celui-ci aussi.
(1) Il jouera au Casino de Paris le 15 juin, puis au Festival d’Avignon les 15 et 16 juillet (théâtre du Palace) et en tournée à partir de septembre.
(2) La harpie féroce est un grand aigle vivant dans les forêts tropicales.