Mélissa Plaza : « Le foot n’est que le miroir grossissant de la société »
Joueuse professionnelle, diplômée d’un doctorat en psychologie sociale, Mélissa Plaza a raccroché les crampons il y a trois ans. Dans un ouvrage sensible, elle raconte son parcours personnel dans un univers sexiste.
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Elle est à peine en école primaire qu’elle ne songe qu’à une chose : le ballon rond. Élevée dans un univers familial violent, Mélissa Plaza a tôt fait du foot sa bouée de sauvetage. Elle sera joueuse professionnelle, évoluant notamment à Montpellier, gagnant deux championnats de France avec Lyon, tout en travaillant au McDo pour boucler des fins de mois difficiles, et menant de front des études universitaires qui la mèneront jusqu’au doctorat. Dans son ouvrage autobiographique remarquable, livré sans fard, elle confie son itinéraire, à contre-courant des clichés, au sein d’un milieu marqué par les discriminations. Aujourd’hui enseignante et conférencière, sensibilisant le public aux stéréotypes sexués et aux violences qui en découlent, elle porte sur le football un regard sans concession, mais aussi passionné.
Vous êtes encore gamine et vous voulez être footballeuse. On vous en décourage. Pourquoi ?
Mélissa Plaza : À l’époque, il était très mal vu de troquer la robe pour le bermuda. J’ai toujours été la seule fille, dans le quartier, à l’école, à jouer au foot. Très vite, on vous fait comprendre que vous n’êtes pas à votre place. L’expression courante de « garçon manqué » vous signifie clairement que vous ne faites pas ce qu’on attend de vous en tant que femme. On vit avec les remarques, les moqueries, dès l’âge de 8 ans.
Le foot serait donc un sport sexiste ?
C’est évident, et au-delà du foot, le sport en général, dernier bastion du sexisme. Le foot n’est que le miroir grossissant de la société. Toutes les formes de discrimination et de violence sont totalement décomplexées dans le football.
Comment le foot peut-il sortir de ce sexisme ?
En en prenant conscience d’abord. La première des choses est de sortir du déni. La plupart des gens vous disent être pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Dans les faits, à observer les comportements, on s’aperçoit qu’ils n’ont pas les clés, ni les outils pour décrypter une attitude sexiste. Et faute de ces outils, ils reproduisent les mêmes erreurs, ou bien ils ne s’en rendent pas compte. Aujourd’hui, nous sommes dans une culture où le sexisme est prégnant, et rarement réprimandé. Comme si, finalement, ce n’était pas si grave. Dans certains cas, si l’on remplace le mot femme par le mot Arabe, Noir ou handicapé, vous observerez à quel point les propos sont graves.
Vous réfutez l’expression « foot féminin ». Pourquoi ?
On ne parle jamais de foot masculin ! On ne dit pas danse féminine ou danse masculine, mais danse. On ne parle pas de nuance. L’expression foot féminin, très courante, signifie qu’on ne sera jamais que dans l’ombre des garçons, dans une discipline à part. Cela revient toujours à essentialiser les différences, à dire que le football pratiqué par les hommes est différent de celui joué par les femmes. Or, pour avoir joué avec des garçons et des filles, je peux vous assurer que le plaisir ressenti est identique, pour les mêmes actions, les mêmes buts.
Quand vous jouez à Montpellier, l’équipe se prête involontairement à la promotion du club à travers des panneaux publicitaires, une promo assez révélatrice…
Cet épisode a été l’une de mes premières prises de conscience féministes. On a accepté parce qu’on était prêtes à tout pour avoir un peu de visibilité, on ne s’est pas tout de suite rendu compte, dans cette séance photo, de ce que signifiait ce qu’on nous imposait, à savoir poser d’une certaine façon devant l’objectif. On était juste des bouts de corps et, pour ma part, un buste et une paire de fesses. Ce n’était pas du tout la façon dont il fallait parler de nous. On n’avait pas à céder à ces injonctions à la féminité. On ne s’est pas focalisé sur l’essentiel, c’est-à-dire nos performances sur le terrain, mais sur un rendu très sexy. Les slogans accompagnant les photos étaient sans ambiguïté : « Samedi soir, prendre du plaisir », « Mouiller le maillot », « Samedi soir, marquer à la culotte »… Ces injonctions demeurent. Il suffit de regarder la photo officielle de l’équipe de France : pourquoi les joueuses n’ont pas les cheveux attachés comme sur le terrain ? Pourquoi faut-il se lisser les cheveux et les avoir longs jusqu’aux seins ? C’est assez insidieux. On vous donne le droit de jouer au foot, mais il ne faut pas oublier qu’en premier lieu vous êtes aussi là pour être femme. Et être femme sous-entend être féminine, avoir tous les attributs de la féminité qui sont aujourd’hui valorisés dans notre société.
Vous écrivez : « La plupart de mes coéquipières voient en moi une féministe révoltée et râleuse, quand je m’insurge contre un système profondément misogyne et inégalitaire. » Qu’en est-il aujourd’hui de ce système ?
Difficile de vous répondre puisque je ne joue plus aujourd’hui. Mais je reçois beaucoup de témoignages de joueuses toujours dans le circuit qui saluent mes positions et mon travail sur les discriminations. Je m’aperçois aussi que nombre d’anciennes joueuses sont devenues des militantes féministes, ce qui est impossible quand on est encore pratiquante, parce que cela reste un tabou. On est pieds et poings liés, sinon bâillonnées.
À votre premier contrat professionnel, vous touchez 400 euros par mois, puis 800, et 1 500 à Lyon… Quel regard portez-vous sur la différence de rémunération entre hommes et femmes dans le foot ?
On est dans une société profondément patriarcale, même si l’on se gargarise de notre devise républicaine. Dans le contexte sportif, les différences de salaires ne sont pas soulevées, ou sont justifiées par des arguments biologiques, ce qui nous fait revenir à une période où les Noirs étaient les esclaves des Blancs car moins intelligents, selon certaines pseudosciences. Quand on justifie toutes les inégalités sociales par des arguments biologiques, c’est vraiment qu’on n’a rien compris et l’on continue à voir les femmes comme esclaves. Or ces femmes s’entraînent plusieurs heures par jour et jouent à l’autre bout de la France chaque week-end. On est largement au-dessus des 35 heures ! On avance aussi des arguments de sponsoring et de billetterie. Mais il faut savoir que beaucoup d’entreprises sont prêtes à investir et sont confrontées au refus des clubs. Si les Lyonnaises sont maintenant correctement payées, cela reste toujours un dixième de ce que perçoivent les garçons ! Ce qui est dommage, c’est qu’il n’y ait pas d’enquête sérieuse sur le salaire des joueuses, parce qu’on ne cite que les deux ou trois plus hauts salaires des joueuses dans tel ou tel club. En tout cas, le salaire moyen annoncé de 3 500 à 4 000 euros par mois n’est pas juste et bien au-dessus de la réalité. J’en connais qui sont encore à 150 euros ! On peut aussi s’interroger sur le manque de transparence sur les subventions, les droits de retransmission, sur la validité des contrats. Et tant qu’on ne sera pas rattachées à la Ligue de football professionnel, ça ne fonctionnera pas ! Quand le grand public saura que les joueuses s’entraînent six jours sur sept pour 400 euros par mois, ça suscitera peut-être enfin l’indignation ! Pour l’heure, on reste dans l’omerta.
Vous dénoncez également la violence verbale de certains entraîneurs, les humiliations, les insultes, un sexisme ordinaire. Comment expliquez-vous l’acceptation de ces violences par les femmes, ce qui, vous l’écrivez, ne serait pas le cas chez les hommes ?
On y est habituées, depuis toutes petites. Gamines, on accepte la violence exercée par les hommes. Quand une petite fille se plaint d’un garçon qui lui a tiré les cheveux dans la cour de récré, et que la maîtresse lui répond que c’est parce qu’il l’aime bien, c’est déjà l’acceptation d’une forme de violence. Ce sont de petites choses qui, mises bout à bout, font que les femmes finissent par se taire. On a tellement intégré que c’est par le silence qu’on se préserve, qu’on finit par ne rien dire. On ne doit surtout pas faire de vagues. Et tant pis si l’on doit endurer les pires choses, se faire traiter de « chèvre » ou de « zéro » toute la journée…
Vous racontez l’installation à Montpellier avec votre compagne d’alors. Comment observez-vous la campagne anti-homophobie qui s’est engagée récemment dans le foot ? Est-ce plus ouvert chez les filles ?
Oui, parce que l’homosexualité chez les femmes est perçue un peu mieux que chez les hommes, elle est même fantasmée. Dans le contexte sportif, on vit dans la promiscuité depuis notre plus jeune âge. Dans le vestiaire des hommes, mal perçue, mal vécue, l’homosexualité reste un tabou. Chez les femmes, à l’intérieur du vestiaire, c’est différent, mais sorti du vestiaire, c’est le même tabou. Alors qu’aux États-Unis certaines joueuses, qui d’ailleurs ont attaqué en justice leur fédération pour l’égalité salariale avec leurs homologues masculins et de meilleures conditions de travail, revendiquent ouvertement leur homosexualité dans les médias et s’affichent en modèles. En France, cela rejoint ce que j’évoque sur l’injonction à la féminité : elle passe par l’hétérosexualité, même si, dans le vestiaire, on sait qui sort avec qui.
Qu’est-ce que cette Coupe du monde pourrait changer dans le regard du public, dans les médias et le sponsoring ?
Il faudra observer comment sont médiatisées les Bleues, si elles le sont pour leurs performances ou pas. On aura forcément des commentaires sexistes. Mais on constate déjà un engouement nouveau. Il se passe quelque chose. Il ne faudrait pas qu’il y ait trop de pression, ni d’obligation de résultat. C’est une chance pour elles, mais elles ne sont pas responsables de tout ce qui pourrait en découler. Il y a encore beaucoup à faire, ne nous voilons pas la face.
Pas pour les filles ? Mélissa Plaza (avec Cécile Dupire), Robert Laffont, 270 pages, 20 euros.