Prisons : violences à huis clos
L’Observatoire international des prisons publie un rapport sur les violences subies par les détenus de la part du personnel pénitentiaire. Un état des lieux alarmant.
dans l’hebdo N° 1556 Acheter ce numéro
Là, un surveillant avoue « uriner sur le plateau des médicaments destinés aux détenus ». Ici, un chef d’établissement pénitentiaire qui se dit « incapable de dire le nombre de circonstances où [il a] été confronté à des allégations de violences commises par des personnels pénitentiaires tellement il est conséquent ». Là encore, un proche relate : « Mon frère a été frappé et insulté par des surveillants qui ont appris je ne sais comment son homosexualité. » Un surveillant interpelle : « Vous connaissez la formule magique ? “Nous avons utilisé la force strictement nécessaire.” Vous mettez tout dedans, c’est ça qui est magique. Mais le “strictement nécessaire”, c’est du pipeau. » « Combien de fois, rapporte un agent pénitentiaire, j’ai assisté à une intervention où les personnels sont sur un type, il a été maîtrisé, il est au sol, on est en train de le menotter, tout se passe “bien”, les menottes sont passées, les entraves, et là vous avez un agent qui arrive et qui lui donne un coup dans les côtes ? » Ici, enfin, c’est un détenu qui souffre de troubles psychologiques, rossé par plusieurs matons dans la cellule d’un quartier disciplinaire.
Régulièrement, l’Observatoire international des prisons (OIP) reçoit des témoignages dénonçant les violences subies de la part des personnels pénitentiaires. Face à la récurrence des récits, l’association a mené douze mois d’investigation pour la rédaction de ce rapport de 114 pages, sans concession, alliant une centaine de témoignages, pour beaucoup sous couvert d’anonymat, de personnes détenues, mais aussi de soignants, d’avocats et de membres de l’administration pénitentiaire (chose extrêmement rare)… L’OIP s’est concentré sur les violences physiques, sans minimiser l’existence d’autres formes de violences carcérales. Brimades, intimidations, abus de pouvoir, insultes… Il ne s’agit pas non plus, dans ce rapport, de nier la réalité des agressions commises par des détenus à l’encontre du personnel pénitentiaire. Mais, si celles-ci sont souvent médiatisées, les autres semblent faire l’objet d’un déni collectif.
Il n’existe aucune donnée officielle, aucune statistique sur ces violences. L’OIP s’est donc confronté à un « phénomène qui n’est pas mesuré », tout en demandant au ministère de la Justice des informations susceptibles de servir d’indicateurs, telles que le nombre de plaintes pour des faits de violence chez les surveillants. L’association, qui a reçu près de 200 signalements ces deux dernières années, s’est aussi appuyée sur les saisines déposées auprès du Défenseur des droits mettant en cause des personnels de surveillance.
S’il n’est pas exhaustif, le rapport se veut un état des lieux éclairant. Au-delà des violences ordinaires, à l’occasion d’un refus d’obtempérer, d’une fouille à nu ou d’un placement en cellule disciplinaire, le rapport pointe d’autres tendances, des violences perpétrées par des détenus, avec la complicité de personnels de surveillance, des violences préméditées, véritables expéditions punitives, et des violences « portées par un groupe de personnes et rendues possibles par le silence de leur supérieur hiérarchique ». Des violences dont sont victimes, le plus souvent, les auteurs d’infraction à caractère sexuel, les malades psychiques, les étrangers et les indigents.
Ce que pointe également l’OIP, c’est combien pèse l’omerta sur ces violences. De fait, « ceux qui les dénoncent peuvent parfois avoir plus à perdre qu’à gagner : pour les détenus, c’est s’exposer à des risques de représailles en tout genre. Pour les témoins et lanceurs d’alerte – surveillants, personnels soignants, intervenants en détention –, ce sont des risques de pressions, intimidations, mises à l’écart ». À l’omerta s’ajoute l’impunité. Obtenir justice pour un détenu ressemble à un parcours du combattant. Encore faut-il connaître ses droits. Sachant qu’une plainte n’est pas toujours suivie d’une enquête mais plutôt classée sans suite. In fine, ce rapport révèle le « problème d’une déresponsabilisation collective ». Si le métier de surveillant est ingrat et dévorant, sous pression, et mal formé, exercé dans de médiocres conditions, les personnes détenues ne bénéficient d’aucune protection et restent dans l’incapacité de faire valoir leurs droits. Surtout, cela ne peut guère s’améliorer, dès lors qu’on constate une inflation carcérale synonyme d’une dégradation des conditions de détention et le renforcement des logiques sécuritaires contribuant à augmenter les tensions et les violences. Mais ça, ça n’intéresse personne.
À lire également Dedans dehors, la revue de l’OIP, et le numéro d’avril consacré au rapport.