Procès France Télécom : la défense conteste le rapport Technologia
Un syndicaliste et une sociologue appelés à témoigner ont fait face, mardi 12 juin, aux questions incisives des avocats de France Télécom, qui ont cherché à démonter le rapport d’expertise Technologia, accablant sur la situation sociale de l’entreprise.
La voix sourde et parfois hésitant, les yeux sur son texte, M. Terseur, syndicaliste CFDT et ancien manager de France Télécom dans la région d’Avignon, est le premier à s’exprimer. Il entame une longue après-midi d’auditions qui ne fut pas de tout repos pour les témoins de la partie civile. Pendant trois heures, il tente de faire entendre sa vision de la crise sociale qui a ébranlé l’entreprise à la fin des années 2000. Sa position et ses fonctions l’ont rendu tour à tour « exécutant », « témoin » et « victime » des plans de restructuration d’alors.
Il raconte une première période, à la fin des années 1990, où « les changements étaient acceptés et compris, car il fallait diminuer la dette et relever l’entreprise », puis une deuxième, à partir des années 2000, « où la pression a continué à s’accroître de façon incompréhensible alors que l’entreprise allait mieux ».
En tant que manager, M. Terseur fut d’abord un acteur de la mise en place du fameux plan ACT, dont l’une des finalités est le départ de 22 000 salariés. De plus en plus réticent, il subit peu à peu « un véritablement harcèlement pour respecter les objectifs fixés ». Au risque de sombrer : « Plusieurs fois en rentrant tard le soir sur l’autoroute, j’ai eu cette tentation de lâcher le volant et de partir dans le décor. » Sa voix est étranglée par l’émotion : « J’ai pu m’en sortir seulement grâce au travail fait avec un psychiatre et au soutien constant de ma famille. » Une charge sévère contre une direction « qui manage par la peur et à travers les chiffres, en ne tenant pas compte des réalités concrètes et humaines ».
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La défense riposte, pointant de nombreuses inexactitudes, notamment au niveau de la chronologie de ses déclarations. Une des avocates lui lance : « Vous ne pouvez pas arriver devant nous avec un texte si préparé et vous tromper à ce point. Vous ne pouvez pas avoir la mémoire qui flanche et être si à charge ! » « Vous êtes devant un tribunal, les mots ont un sens et des conséquences », l’admoneste sévèrement un autre avocat. La défense finit par lui opposer une statistique du rapport Technologia qui va à l’encontre du sentiment « de perte de confiance entre managers et salariés » ressenti par l’ancien cadre et syndicaliste. Moyen habile aussi de commencer le travail de sape d’un rapport qui fut au cœur des échanges de la fin de cette vingt-et-unième journée de procès.
Un rapport alarmiste qui suscite le débat
Mme Jedlicki, sociologue, vient ensuite défendre à la barre le rapport Technologia, auquel elle a participé. Avec assurance et pédagogie, elle explicite la méthode d’un rapport qui avait été jugé « explosif contre la direction » lorsqu’il avait été rendu en 2010. Le cabinet mandaté avait vu les choses en grand, mobilisant trente consultants d’horizons scientifiques divers (sociologie, ergonomie, économie…) pour mener une grande enquête auprès des salariés. Quelque 80 000 d’entre eux ont répondu au questionnaire, « un chiffre très important qui rend les résultats scientifiquement pertinents », selon l’experte qui a réalisé, en appui au questionnaire, 83 entretiens de plus d’une heure dans 15 villes et 19 cités France Télécom. Et le rapport ne ménage pas la direction.
De toutes ces rencontres « ressort globalement une très grande souffrance, voire pour certains une très grande détresse », face « à une nouvelle organisation du travail qui humilie et placardise des salariés ». Selon Mme Jedlicki, beaucoup d’employés « n’ont pas compris le sens de si durs efforts et de méthodes contraires à leur valeurs ». « Nous avons été bouleversés par de nombreux témoignages au contenu émotionnel très fort », avoue même l’experte, qui n’est pas sortie « indemne » de l’enquête.
Les avocats de la défense lui reprochent à plusieurs reprises le hiatus entre ses propos et des statistiques plus positives pour l’entreprise issue du rapport. « Cela n’a pas de sens d’isoler des chiffres. Il faut voir l’enquête dans son ensemble. C’est un tout », leur répond la sociologue qui finira par refuser de répondre à des questions de plus en plus pointues sur les statistiques. « Je ne suis pas statisticienne, je suis sociologue. Ce que je peux vous assurer, c’est le sérieux de la méthode d’un rapport dont les conclusions ont été écrites collégialement. »
« Ce rapport est la base de l’accusation, il est normal que nous l’interrogions, que nous posions des questions sur ce qu’on ne comprend pas », fait valoir l’un des avocats d’une défense bien décidée à contre-attaquer à mi-parcours du procès, qui se terminera le 12 juillet.
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