Procès France Télécom :  l’ex-numéro 2 récuse le terme « souffrance »

Le tribunal de Paris s’est intéressé, jeudi 6 juin, au fonctionnement du service des ressources humaines de France Télécom. L’ancien numéro 2, Louis-Pierre Wenès, nie tout « dysfonctionnement majeur », malgré les rapports alarmistes qui se sont accumulés au fil des années.

Matthias Hardoy  • 7 juin 2019
Partager :
Procès France Télécom :  l’ex-numéro 2 récuse le terme « souffrance »
© photo Louis-Pierre Wenès (à droite), ancien numéro 2 de France Télécom, arrive au tribunal de Paris lors du procès France Télécom. crédit : Lionel BONAVENTURE / AFP

Pendant plus d’une heure, Louis-Pierre Wenès explique à la barre, document Excel et organigramme à l’appui, le fonctionnement de l’entreprise durant la période 2006-2009. La présidente s’intéresse plus spécifiquement au service RH (ressources humaines), premier concerné par la vague de suicides au sein de France Télécom. Qui et à quel échelon des RH aurait dû se rendre compte de l’ampleur de la crise sociale ? Les explications de l’ancien numéro 2 du groupe, truffées de sigles et d’anglicismes, sont complexes pour qui ne maîtrise pas sur le bout des doigts le jargon managérial. La présidente et les avocats des parties civiles demandent sans cesse des éclaircissements au prévenu, s’attirant les foudres d’une des avocates de la défense : « Mais voyons, ces explications sont limpides ! » Cette apostrophe déclenche des rires du côté des parties civiles.

À défaut de déterminer qui aurait pu ou dû être alerté le premier, ce sont les signaux d’alertes qui sont analysés à la barre. Dès 2006, des appels à la grève des syndicats mentionnaient « les conditions de travail au sein de l’entreprise qui mettent en danger la santé physique et mentale des salariés » ; en 2007, les syndicats SUD et CFE-CGC créent un Observatoire du stress et des mobilités forcées, qui lance une grande enquête en ligne auprès des salariés pour faire la lumière sur la souffrance des travailleurs, suite aux remontées des cas de suicides partout en France. Mais la direction empêche les salariés d’accéder au site de l’Observatoire sur l’intranet de France Télécom, et remet en cause « la méthode et la légitimité d’un processus mis en place par seulement deux syndicats ».

Rapports très alarmistes et concordants

Mais les signaux déterminants qui auraient pu alerter les dirigeants, ce sont les rapports très alarmistes et concordants rédigés par plusieurs inspecteurs du travail sur le territoire, à Rouen, Bordeaux et Troyes. Tous pointent « la grande souffrance » des salariés, témoignages à l’appui : « Le Meilleur des mondes, Aldous Huxley, vous voyez ? Et bien ici c’est pareil ! » dit l’un ; « Les Temps modernes de Chaplin, et bien désormais, c’est chez nous ! » selon un autre.

Wenès récuse « le terme de souffrance », et lui préfère celui de « difficultés inhérentes à tout processus de transformation ». Il préfère également citer les résultats de l’enquête en ligne menée par l’entreprise en septembre 2007 auprès des employés : 85 % des managers et 68 % des collaborateurs s’y disent satisfaits de la stratégie du groupe. « Dans les verbatims, on voit que ce nest pas La Petite Maison dans la prairie non plus, mais il y a beaucoup de positif ! », se défend le dirigeant, provoquant quelques rires nerveux dans le public. Du côté des avocats des parties civiles, on veut en savoir plus sur l’élaboration et la représentativité du questionnaire. Devant le refus d’explications de l’ex-numéro 2, une des avocates interroge :

« Vous avez questionné la méthode de celui mené par l’Observatoire syndical, il est normal qu’on se pose des questions sur le vôtre, de questionnaire. »

« Vous insinuez qu’on aurait triché ? » tonne Wenès.

« Non, je cherche juste à comprendre pourquoi les résultats sont si différents de tous les autres rapports… »

J’avais la tête ailleurs, j’étais bien plus préoccupé par quelque chose de plus important pour l’avenir de l’entreprise : la crise des subprimes !

Didier Lombard, l’ancien PDG de l’entreprise, peu présent dans les débats de ce jeudi 6 juin, crée néanmoins la stupeur des parties civiles lorsque il déclare qu’en 2008, quand les suicides à France Télécom faisaient les gros titres dans le journaux, ceux-ci étaient loin d’être un sujet majeur pour lui.

Le procès se poursuit jusqu’au 12 juillet.

Économie Travail
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

« Métiers féminins » : les « essentielles » maltraitées
Travail 15 novembre 2024 abonnés

« Métiers féminins » : les « essentielles » maltraitées

Les risques professionnels sont généralement associés à des métiers masculins, dans l’industrie ou le bâtiment. Pourtant, la pénibilité des métiers féminins est majeure, et la sinistralité explose. Un véritable angle mort des politiques publiques.
Par Pierre Jequier-Zalc
Jeu vidéo : un tiers des effectifs du studio français Don’t Nod menacé de licenciement
Social 9 novembre 2024

Jeu vidéo : un tiers des effectifs du studio français Don’t Nod menacé de licenciement

Les employés du studio sont en grève. Ils mettent en cause une gestion fautive de la direction et exigent l’abandon du plan, révélateur des tensions grandissantes dans le secteur du jeu vidéo.
Par Maxime Sirvins
Liquidation de Fret SNCF : les syndicats préparent la riposte
Transport 5 novembre 2024 abonnés

Liquidation de Fret SNCF : les syndicats préparent la riposte

Après l’annonce de la liquidation, au 1er janvier 2025, de Fret SNCF, les syndicats de cheminots unis ont été reçus par la direction ce 5 novembre. Ils déplorent un passage en force et annoncent une « fin d’année très conflictuelle ». Première journée de grève prévue le 21 novembre.
Par Pierre Jequier-Zalc
Budget 2025 : quand la gauche rafle la mise… en vain ?
Budget 4 novembre 2024 abonnés

Budget 2025 : quand la gauche rafle la mise… en vain ?

Depuis trois semaines, le Nouveau Front populaire enchaîne les victoires sociales et écologiques dans un hémicycle clairsemé. Au point que la copie actuelle du budget serait, selon Éric Coquerel, « NFP-compatible ». Jusqu’au 49.3 ?
Par Lucas Sarafian