Un rapport révèle une situation « explosive » dans les centres de rétention
Plus de 45 000 étrangers ont été privés de libertés en France en 2018. Parmi eux, malgré six condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme depuis 2012, 1 429 enfants ont été enfermés.
Émeutes, incendies, tentatives de suicide et grèves de la faim : les associations présentes dans les centres de rétention administrative (CRA) dénoncent une « situation explosive » consécutive à la banalisation de l’enfermement et à l’aggravation des conditions de rétention. Pour la neuvième année consécutive, la Cimade, l’Ordre de Malte France, Assfam-SOS Solidarités, France terre d’asile, Forum Réfugiés-Cosi et Solidarité Mayotte publient, mardi 4 juin, un rapport alarmant sur la situation des étrangers placés en centre de rétention administrative.
45 851 étrangers ont été privés de liberté en 2018. 1 429 étaient des enfants. Alors que le nombre d’éloignements reste stable, la durée moyenne d’enfermement a progressé de 12,8 jours en 2017 à 14,6 jours en 2018. Des tendances qui ne sont certes pas nouvelles, mais qui ont été « renforcées depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir », affirme David Rohi, membre de la Cimade. Il pointe notamment l’entrée en vigueur au 1er janvier 2019 de la loi Asile et immigration, qui allonge de 45 à 90 jours la durée maximale de détention.
Début janvier, des dizaines de retenus des CRA de Vincennes, du Mesnil-Amelot, d’Oissel et de Sète ont entamé une grève de la faim inédite, massive et coordonnée. « Les formes de révoltes et de violences se multiplient à l’intérieur des centres, poursuit David Rohi. Les émeutes n’ont jamais été observées aussi fréquemment et intensément qu’en 2018. Casses, incendies et grèves de la faim se multiplient. La contestation prend aussi des formes plus ténues : les gens font massivement part d’un sentiment d’injustice, de révolte et de souffrance. »
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La faute à des violences et maltraitances extérieures, commises par les policiers notamment, mais aussi auto-infligées. Les automutilations et les tentatives de suicide sont monnaie courante au sein des centres. Une a été fatale à un retenu au CRA de Toulouse en septembre dernier. « Les actes de désespoir augmentent, déplore Laetitia N’Diaye, de l’Ordre de Malte France. La possibilité nouvelle de rester enfermé jusqu’à 90 jours dans des centres inadaptés aux longs séjours a un impact fort sur la santé mentale et physique des personnes. »
Six condamnations de la CEDH
« C’est toujours la rétention et l’éloignement qui priment sur l’état de santé, notamment des plus vulnérables », confirme Céline Guyot, représentante de l’Assfam. L’accès et la continuité des soins au sein des CRA ne sont pas toujours conformes aux normes (absence de services médicaux dans certains centres, présence discontinue du personnel de santé, accès aux soins à la discrétion des policiers, absence d’interprètes et d’information systématique sur les modalités d’accès…). Les estimations pour 2019 inquiètent à ce titre les associations puisque plus de 40 personnes handicapées, ainsi que 40 victimes de la traite humaine et 200 personnes atteintes de troubles psychologiques auraient déjà été enfermées.
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Plus de 80 enfants auraient également été placés en CRA durant les quatre premiers mois de l’année. « La rétention pour les enfants, ce sont des troubles du sommeil et de l’appétit, des hauts-parleurs qui crient toute la journée, une liberté de mouvement restreinte… Les enfants deviennent apathiques et se replient sur eux-mêmes, regrette Laetitia N’Diaye. Même de courte durée, l’enfermement a des impacts négatifs sur le développement des enfants. » Les situations varient en fonction des préfectures : en 2018, 82 % des enfants retenus l’étaient dans les centres de Metz et du Mesnil-Amelot. La France a déjà été condamnée à six reprises depuis 2012 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour l’enfermement de mineurs.
« Enfermements illégaux en hausse »
« Le gouvernement fait le choix d’enfermer massivement, pour ensuite peut-être éloigner, s’insurge Laëtitia N’Diaye. On enferme et puis on voit ! » La rétention serait en effet peu opérationnelle puisque les taux de libération par les juges atteignent des niveaux très élevés : 38 % en métropole et 25 % outre-mer. Il atteindrait même les 40 % pour les demandeurs d’asile assujettis au règlement de Dublin. Seule quatre personnes sur dix ont effectivement été expulsées en 2018, un taux similaire à celui de 2017 et en légère baisse par rapport à 2016. Face à ce constat, les associations dénoncent une hausse des enfermements illégaux et de la violation des droits humains. Légalement, la rétention ne doit se faire qu’en dernier recours, et n’être ni une sanction, ni un moyen de garder à disposition des personnes en situation irrégulière. Pour la Cimade, les centres de rétention administrative sont le théâtre « d’une politique beaucoup plus répressive, très excessive et tout à fait disproportionnée, motivée par la volonté de dissuader, décourager ou punir les candidats à l’exil ».
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