Avignon off : Lorca sans un mot
La compagnie Albadulake fait virevolter l’œuvre du poète andalou.
dans l’hebdo N° 1562 Acheter ce numéro
Plusieurs troupes espagnoles sont présentes dans le off. Chacune est venue tenter sa chance. « L’Institut Cervantes ne nous aide pas ; les structures catalanes aident davantage leurs artistes », dit Antonio Fernandez, responsable avec Ángeles Vázquez de la compagnie Albadulake, issue d’une campagne lointaine, proche du Portugal et de la ville de Cuacos de Yuste. Le camion de la compagnie est tombé en panne en arrivant à Avignon. C’était donc gagné !
Le spectacle Genoma B transpose La Maison de Bernarda Alba dans un style original fait de langage du cirque et de flamenco. C’est García Lorca sans un mot ! Pourtant, c’est bien la tragédie du poète andalou, dans une autre respiration et dans une magnifique intensité. Six comédiennes inspirées, danseuses ou circassiennes, interprètent avec des cerceaux, des agrès, des gestes et des danses ce huis clos de femmes férocement coupées du monde extérieur.
« Nous venons dans le off d’Avignon pour une question de survie, continue Antonio Fernandez. En Espagne, le système a changé, il est devenu plus étroit. On peut avoir du public dans les villages, mais c’est difficile dans les villes. Une autre année, nous sommes allés au Fringe d’Édimbourg. Mais nous avons une communauté d’esprit plus grande avec le public français. En France, nous étions venus au Festival de théâtre de rue, à Aurillac, avec un autre spectacle, Malaje. C’est un peu trop une compétition. Dans le off d’Avignon, malgré le nombre de spectacles en présence, il y a plus de respect. Nous représentons une expression poétique qui se développe, sans la parole. Certains défenseurs d’une vision classique de Lorca nous ont contestés. Mais la contestation, on aime ça ! »
Ils ont serré les boulons. L’investissement est de l’ordre de 50 000 euros. Plus la réparation du camion qui est en bonne voie, comme le spectacle, qui trouve son public français.
Genoma B, Théâtre du Girasole, 18 h 15.
Et aussi, à Avignon off…
Fleur de snack
Depuis la création de sa compagnie L’Entreprise en 1986, François Cervantes s’intéresse à ceux qui ont perdu leur terre, leurs racines. Il travaille sur leurs déchirures. Sur la manière dont leur parole s’articule, ou non, à leurs gestes. Dans Le Rouge éternel des coquelicots, c’est ainsi à Latifa Tir, tenancière d’un snack sur le point d’être détruit, qu’il donne la parole. Portée par une Catherine Germain très juste dans sa manière de jouer avec la distance qui la sépare de son personnage, sa parole offre une image inattendue des quartiers Nord de Marseille. Tragique, mais aussi profondément joyeuse, vivante. Anaïs Héluin
11 – Gilgamesh Belleville, 22 h 15.
L’Europe magique
Tout commence par l’arrivée d’Andreas (Jules Puibaraud) au sein d’une petite communauté retranchée du monde. Dans Des caravelles et des batailles, conçu par les Belges Elena Doratiotto et Benoît Piret, c’est à travers les yeux de ce jeune homme toujours un peu éberlué que l’on découvre le singulier fonctionnement du groupe. Ses petits rituels, ses peurs et ses tendresses. Son obsession pour l’histoire aussi, qui s’invite l’air de rien dans le quotidien. Très librement inspirée de La Montagne magique, de Thomas Mann, une utopie se dessine dans cette subtile création dans laquelle on peut voir une Europe rêvée. Anaïs Héluin
Théâtre des Doms, 17 heures.
L’art d’être spectateur
L’un de nos meilleurs auteurs, Pierre Notte, aime aussi être sur scène. Il parle seul, presque à mains nues (mais il enfile des gants de boxe pendant le spectacle), et traite de la place du spectateur. Au public, il explique qu’il veut des gens actifs. Et que toute pièce est concentrée sur « l’arrivée d’une catastrophe ». Au fond des choses, dans L’Effort d’être spectateur, Notte nous livre un art poétique : contre quels conformismes le théâtre neuf doit se battre, comment vit l’auteur au milieu des routines et des critiques parfois hostiles… Un message blagueur dans les hauteurs. Gilles Costaz
Artéphile, 13 h 25.
Vive les lucioles !
Jacques Rebotier est plutôt un poète et un musicien. C’est davantage un poète qui parle qu’un acteur. Son Contre les bêtes est son classique. Il l’a donné plusieurs fois à Avignon depuis 2004. Évidemment, cette férocité professée contre les animaux est à comprendre à l’envers. « Les lucioles servent à rien, les lucioles foutent rien, les lucioles sont toutes des planquées, elles pensent rien, elles pensent qu’à baiser, elles pensent qu’à bouffer… Les lucioles et les vers luisants, c’est pas des gagnants », dit-il par exemple dans son verbe ironique et finalement écolo. Gilles Costaz
Présence Pasteur, 19 h 20.