Bébés sans bras : des cas trop rares aux causes introuvables ?

Le comité d’experts mandaté par le ministère trouve un nombre de cas inférieur aux signalements et ne sait pas quelles explications chercher, a-t-il expliqué à la presse le 12 juillet.

Ingrid Merckx  • 12 juillet 2019
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Bébés sans bras : des cas trop rares aux causes introuvables ?
© Photo : JASPER JACOBS / BELGA MAG / Belga / AFP

N ous cherchons des causes, mais il est possible que ce soit le hasard », avait prévenu Alexandra Benachi. La présidente du Comité d’experts scientifiques (CES) aurait pu commencer sa présentation à la presse, le 12 juillet au ministère de la Santé, du premier rapport d’enquête sur _« les cas d’agénésies transverses des membres supérieurs (ATMS) observés dans trois départements métropolitains » par _: « Il n’y a pas d’ ‘affaire des bébés sans bras »_. C’est en effet la première conclusion à laquelle sont arrivés la vingtaine d’experts qui ont planché sur le sujet depuis la fin octobre, à la demande de la ministre de la Santé.

Le CES a en effet repris tous les dossiers de signalement de « bébés sans bras » et a trié les cas qui, expertises à l’appui, relevaient effectivement d’ATMS et ceux qui relevaient d’autres types de malformations. Pour arriver à la conclusion que, dans l’Ain, le département couvert depuis 2011 par le Remera, qui a lancé l’alerte, il n’y a pas de « cluster significatif ». Soit moins de cas d’ATMS que signalés, et ceux restants étant trop distants géographiquement et dans le temps les uns des autres pour pouvoir constituer un cluster dépassant l’incidence moyenne.

Il y a bien un cluster dans le Morbihan, mais de trois cas au lieu de quatre, selon le CES. Pour la Loire-Atlantique, comme il n’existe pas de registre, des médecins ont été mandatés pour enquêter et les résultats ne sont pas encore parvenus aux experts.

Le CES a observé la méthode de Kulldrof « soit celle utilisée par le Remera, puisque la méthode précédemment utilisée par Santé publique France avait donné lieu à une bataille d’experts », a cru bon de rajouter Alexandra Benachi en précisant que Martin Kulldorf avait été contacté en personne. Le Remera n’aurait pas renvoyé au CES les dossiers médicaux demandés mais un document « inexploitable », ce qui aurait limité le travail du CES dans ce département, a-t-elle souligné, renvoyant sur le lanceur d’alerte l’ombre du discrédit qu’il avait fait planer sur les autorités sanitaires. Alexandra Benacchi a également précisé que le Remera n’appartenait pas à Eurocat, registre des malformations congénitales en Europe, contrairement aux cinq autres registres français, alors que cette appartenance est à ses yeux « un gage de qualité ».

« Cette histoire a affolé beaucoup de monde pour finalement un seul cluster, a conclu la présidente, gynécologue obstétricienne à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart. On peut rassurer les femmes enceintes : il y a peut être une cause mais elle sera difficile à trouver. »

Vers une fédération des registres

Ce qui n’empêche pas les instances publiques de prendre l’affaire très au sérieux, ont-elles défendu à plusieurs reprises en faisant valoir « l’énorme travail » réalisé sur un temps très court, avec seulement trois réunions communes en mars, en mai et en juin et onze personnes auditionnées, pour publier un document de plus de 250 pages.

Au niveau des recommandations, le CES insiste sur la nécessité de s’en tenir à une « définition précise » des ATMS afin que, dans les clusters éventuels, ne soient pas amalgamés des malformations génétiques ou liées à des causes médicamenteuses connues (Dépakine, thalidomide). Le CES a écarté la nécessité d’une enquête génétique notamment pour des raisons « éthiques » : « Sans autre cas déclarés dans la famille, l’enquête génétique pourrait révéler d’autres anomalies que celles recherchées et inquiéter inutilement les concernés. » Le CES recommande également la constitution d’une fédération des registres, avec des méthodologies communes pour assurer une « qualité des données ». Mais il a écarté la constitution d’un registre national. Pour l’heure, seuls 19% du territoire sont couverts par les registres.

Président du Comité d’orientation et de suivi (COS), Daniel Benamouzig a déploré le « climat de défiance et de suspicion » dans lequel ils avaient travaillé et pointé le manque d’accompagnement des familles. Un comité de surveillance avec des réunions publiques régulières a été évoqué par le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon.

Lien de causalité impossible ?

Sur les causes envisagées, autant chercher une aiguille dans une botte de foin, s’est-il dit en substance. « On ne peut pas dire : c’est les pesticides, et enquêter sur tous les pesticides existants », a expliqué Alexandra Benacchi. Une enquête a été lancée autour de Guidel dans le Morbihan avec notamment les cahiers d’épandage corrélés aux périodes des grossesses signalées : un peu avant le premier trimestre, un peu après.

Mais ces cahiers ne seraient conservés que pendant cinq ans. Et n’incluent que les épandages déclarés, pas les produits de contrebande. Le comité a recommandé des analyses sur la qualité de l’eau, de l’air et des sols, mais sans nouveaux prélèvements. Des recherches sont également en cours du côté d’éventuelles malformations animales « mais des substances tératogènes pour l’animal peuvent ne pas être tératogènes pour l’homme et inversement », a indiqué Alexandra Benachi.

Une enquête dans la littérature scientifique a également été entamée. Mais à raison de plus de 20 000 articles à éplucher avec trois personnes à plein temps, l’opération devrait prendre entre 12 et 18 mois.

« Difficile d’établir des liens de cause à effet quand on ne sait pas ce qu’on cherche et avec un nombre de cas trop restreint », a résumé Alexandra Benachi. L’incidence d’ATMS est estimée à 1,7 pour 10 000 naissances, soit environ 150 cas par an en France. En outre, si intoxication il y a eu, quelles traces en reste-t-il des mois voire des années après ? « L’incidence des malformations ne bouge pas. L’incidence des ATMS ne bouge pas. L’enquête est difficile avec des cas rares sans savoir ce qu’on cherche », a répété Jérôme Salomon en assurant : « Le travail se poursuit. »

À lire aussi > Politis : Bébés sans bras : l’État se donne-t-il les moyens de découvrir pourquoi ?

« C’est un enterrement », lâche André Cicolella. Membre du Comité d’orientation et de suivi (COS) mandaté par le ministère en parallèle du CES, le président du Réseau environnement santé ne cache pas sa déception. Avec les autres membres du COS, il s’est vu exposer, le 11 juillet, les premières conclusions du Comité d’experts scientifiques (CES) avant présentation à la presse. « Sous une apparence scientifique, le CES a présenté une méthode à coté de la plaque, soupire le toxicologue. On ne s’intéresse qu’à la dimension clinique sans s’intéresser aux causes environnementales et on fait semblant de s’intéresser aux explications. Le point de départ du CES a été de nous déclarer : « Le taux d’ATMS n’a pas changé depuis l’Antiquité. » Ce qui en dit long sur les a priori de la présidente et de ce groupe constitué d’experts qui n’ont pas de regard sur les causes environnementales et ont fait ce qu’ils savaient déjà faire… »

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