Des airs de ZAD pour « Open Sky »

Un mégaprojet près de Rennes menace des terres fertiles et accentuerait la concentration commerciale au détriment des centres-villes alentour. La mobilisation s’intensifie.

Chloé Richard  • 17 juillet 2019 abonné·es
Des airs de ZAD pour « Open Sky »
© crédit photo : Chloé Richard

Un peu d’huile de coude et quelques coups de faucille ont suffi pour se frayer un chemin dans les pâturages afin de pique-niquer mais aussi, et surtout, de protester. Une centaine de personnes se sont donné rendez-vous un samedi ensoleillé de mai pour manifester leur opposition au projet de mégacentre commercial Open Sky à Pacé. À l’est de la zone commerciale Rive Ouest, à une dizaine de kilomètres de Rennes, entre une grande enseigne suédoise, un garage automobile et un champ de vaches, près de dix hectares de terres agricoles sont menacés. « Nous sommes sur la ceinture verte et bleue de la biodiversité (1) de Rennes », souligne Amaury, un des organisateurs de la manifestation, membre du collectif local d’Extinction Rebellion.

Open Sky serait doté de 40 000 m2 de surfaces à bâtir, dont les deux tiers dédiés aux espaces commerciaux, avec une quarantaine de magasins, cinq restaurants et 1 400 places de parking, tandis que Rive Ouest s’étale déjà sur 78 000 m2. Pour la Compagnie de Phalsbourg, l’un des promoteurs du projet avec le rennais Blot immobilier, ce n’est pas incompatible. Au contraire, « avec des concepts commerciaux différents, le projet […] renforcera l’attractivité de Rive Ouest, tout en s’intégrant dans le paysage et la nature environnante », se targue l’entrepreneur sur son site Internet. Et l’architecture futuriste « aura pour rendu une trame verte similaire à une allégorie de la nature ».

Si le sursaut citoyen se renforce depuis quelques mois, cela fait plusieurs années qu’Open Sky traîne dans les cartons des élus. Selon l’association Géographes de Bretagne, le projet apparaît déjà en 2007 sur le schéma de cohérence territoriale (Scot) du pays de Rennes. « Mais il a commencé à se concrétiser en 2013, un an avant les élections municipales », précise Matthieu Theurier, coprésident du groupe écologiste au conseil municipal de Rennes et vice-président de Rennes métropole.

En 2014, Open Sky refait son apparition sur le plan local d’urbanisme (PLU) de la ville de Pacé. La partie réservée au projet est alors classée en zone à urbaniser à vocation économique. En clair : des activités commerciales. Grâce à ce document, un permis de construire est déposé et la commission départementale des autorisations commerciales (CDAC), composée d’élus locaux, le valide. La bataille juridique s’engage à coups de recours par la société FRP II, propriétaire de plusieurs boutiques d’un centre commercial voisin, Cap Malo. D’abord au tribunal administratif de Rennes, puis à la cour d’appel de Nantes et au Conseil d’État, qui a donné son feu vert en décembre 2018. Open Sky serait prévu pour 2020.

« C’est un mille-feuille administratif », constate Gunevel Pédron, géographe-urbaniste et président de l’association Géographes de Bretagne. « Ce projet impactera le centre-ville de Rennes et la dizaine de centres commerciaux autour de la ville, ainsi que Dinan, Lamballe ou Saint-Brieuc, à cause de sa proximité avec Ikea », ajoute-t-il. Open Sky porte en effet préjudice à la valorisation du territoire en participant à l’essoufflement des centres-villes, tue des emplois similaires autour de lui et favorise l’étalement urbain, l’usage de la voiture et l’artificialisation des sols. « Au bout d’un moment, il y a des choix à faire pour l’intérêt public, les modes de vie ont changé », s’indigne Gunevel Pédron.

Coïncidence ou pas, le président de Rennes métropole (2), Emmanuel Couet (PS), a annoncé dans un communiqué, début février, se désolidariser du projet : « Je dois veiller au respect des équilibres sur le territoire […]_. Certaines inquiétudes m’apparaissent fondées et légitimes. »_ Sentant un petit changement de cap, les opposants ont commencé à passer à l’action en organisant le même mois un die-in devant l’hôtel de Rennes métropole, puis l’occupation symbolique des terres avec ce pique-nique militant, ainsi qu’une action de désobéissance civile devant le siège de Blot immobilier à Rennes, en juin. Malgré tout, Open Sky garde des supporters, comme le maire de Pacé, Paul Kerdraon (LR). Quant à André Crocq, vice-président de Rennes métropole, chargé du développement durable et de l’animation territoriale, il s’était réjoui de la décision du Conseil d’État.

Le jour du pique-nique, les manifestants, dont des paysans, n’ont pas hésité à tenir un discours devant l’hôtel de ville de Pacé pour appeler à lutter contre l’artificialisation des sols. « Tous les sept ans, c’est un département agricole qui part en urbanisation ! » déplore Simon, en formation pour devenir responsable d’exploitation agricole. Thérèse, la soixantaine, agricultrice laitière à Montfort-sur-Meu, près de Rennes, n’a pas hésité à se joindre au cortège en direction de la prairie vouée au bétonnage. « Aujourd’hui, c’est plus intéressant de créer une zone que de réaménager, car ce n’est pas cher. On raisonne individuellement alors qu’il faut arrêter de spéculer sur la terre. » D’autant plus que les candidats à l’installation ne manquent pas.

Les espoirs des anti-Open Sky se tournent désormais vers les élus. Certains d’entre eux demandent un abandon et une modification du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi). « Les nombreux centres commerciaux sont périurbains, ils sont pensés pour la voiture, cela compartimente les lieux de vie, de consommation, etc. Et il est difficile de voir toute cette biodiversité vouée à ça », regrette Jean-Paul Tual, conseiller municipal LFI à Rennes. Depuis novembre 2015, les différents élus des communes travaillent à l’élaboration de ce premier PLUi, qui remplacera le PLU de Pacé. Pour le moment, la zone concernant Open Sky est indiquée comme « déjà urbanisée » et à vocation commerciale. Reste à connaître les résultats de l’enquête publique, menée de mars à mai, et savoir s’ils joueront un rôle sur la modification du PLUi.

« Un PLUi est fait pour dix à douze ans, voire quinze. Mais il peut être révisé à tout moment par une déclaration de projet ou être modifié sur un point précis, un projet ponctuel comme un centre commercial, précise Gunevel Pédron. Celui-ci sera actif en fin d’année, mais il y a eu beaucoup d’annotations lors de l’enquête publique. Quelques éléments seront modifiés. » Pas sûr, toutefois, que ces modifications concernent Open Sky, car le projet est inscrit sur le Scot du pays de Rennes, « qui a été révisé et approuvé en 2015 puis modifié par l’ajout de quatre communes en 2018 », poursuit le géographe. Ce document d’urbanisme, élaboré pour vingt ans, concerne un territoire plus large : le Scot comprend 76 communes, dont les 43 de Rennes métropole.

En cas d’abandon du projet, le promoteur Phalsbourg recevrait une compensation financière. « Mais, en échange, on évite un déséquilibre sur le territoire et la destruction de ces précieuses terres fertiles », explique Gunevel Pédron. Phalsbourg a déjà versé 4 millions d’euros à Rennes métropole sur les 12 millions qui concernent l’achat du terrain. D’après France 3 Bretagne, les promoteurs seraient actuellement en train d’évaluer le coût de l’abandon d’Open Sky. Dans tous les cas, les opposants n’en démordent pas : « Le projet ne se fera pas, quitte à mettre tous les moyens en œuvre pour l’empêcher », entend-on ce jour-là dans la prairie. Un air de ZAD se fait sentir dans la périphérie rennaise.


(1) La trame verte et bleue (TVB), résultant d’un engagement du Grenelle de l’environnement, est un outil d’aménagement qui doit privilégier la continuité écologique des territoires.

(2) Rennes métropole regroupe 43 communes de l’agglomération rennaise, avec 443 000 habitants.

Écologie
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