Je viendrai te chercher en RER
Le métro est une merveille : il arrive qu’il parcoure jusqu’à trois stations sans le moindre incident.
dans l’hebdo N° 1561 Acheter ce numéro
Je ne voudrais surtout pas te paraître plus parisianiste que je ne suis, mais je voulais quand même te dire, en espérant que ça ne redoublera pas la (si compréhensible) désolation que tu éprouves à vivre dans une bourgade oubliée de tou·te·s (1), qu’ici, dans La Capitale – La Ville-Lumière, comme l’appelle une planète envieuse –, nous avons (aussi) de merveilleux transports en commun.
Bon, pour ce qui est du tram, il semblerait, si j’en crois les témoignages des rescapé·e·s, qu’il y ait quelquefois des petits problèmes d’intendance, mais je ne peux pas vraiment en parler : la (première et) dernière fois que je l’ai pris, il s’est arrêté en plein désert – quelque part entre la porte de Charenton et Oulan-Bator –, et au bout de sept heures, comme les secours n’arrivaient toujours pas, je suis parti. Mais le métro, par exemple, est une merveille : il arrive même qu’il parcoure jusqu’à trois stations sans le moindre « incident » (mystérieux) – et ça reste le seul endroit au monde où 19 274 personnes arrivent à coexister dans un wagon prévu pour 3 sans trop se foutre sur la gueule. Et le bus ! L’extraordinaire diversité des chauffeurs – entre ceux qui roulent à 2 à l’heure sans jamais se laisser infléchir par les conditions de circulation et les autres, qui ne descendent jamais sous un très digne 150 kilomètres/heure, mais qui, avant de donner de grands coups de frein venus de nulle part, attendent toujours – attendrissante attention – que les passagers les plus âgé·e·s se soient levé·e·s.
Puis l’honnêteté oblige à reconnaître que, dans la lutte contre le réchauffement climatique, ces gens sont très en avance sur nous : l’autre jour, il y en a un qui avait même pensé à éteindre la lumière en partant (de l’arrêt où j’avais réussi à m’introduire dans sa patache avant qu’il n’en referme les portes). Et comme il était 23 heures – je te parle ici de ce moment béni où tu peux enfin voyager assis·e –, j’ai fini par lui demander s’il était possible qu’il allume quand même une toute petite loupiote, steuplaît, sans vouloir vous commander, et seulement si vous avez le temps, sinon, franchement, c’est pas grave : c’est juste que je suis à fond pour la chasse aux gaspis, moi aussi, mais que je ne voudrais pas non plus perdre un œil en essayant de lire l’édito de Françoise Thatcher dans Le Monde.
Et je dois reconnaître qu’au début, quand il m’a lancé ce regard qui m’a irrésistiblement rappelé la fois où j’avais regardé Massacre à la tronçonneuse, j’ai cru que je l’avais froissé – mais en vrai, il a été irréprochable : il a effectivement allumé, tout au fond du bus (et en prenant le temps de m’expliquer, alors qu’il était pas du tout obligé, que vrmmmblr-fait-trblllrgrrpf-chier-frbblmtr-bordel), un néon post-soviétique. (Qui était certes un peu loin de mon siège, mais après tout, quel besoin avais-je de lire la presse bourgeoise ?)
J’ai vraiment hâte que tu viennes découvrir tout ça par toi-même : je viendrai te chercher en RER.
(1) « Manhattan », sans déconner : je ne veux pas non plus t’accabler, mais c’est quoi, comme espèce de nom, exactement ?
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.