Le Sea Watch 3 force le blocus européen
En accostant à Lampedusa, la capitaine Carola Rackete a mis en lumière les contradictions de la politique migratoire de l’Union.
dans l’hebdo N° 1560 Acheter ce numéro
C apitaine Carola Rackete : notre-dame de l’Europe », clamait lundi la banderole déployée par le collectif Accueil de merde, passerelle de la Tournelle à Paris. Sur fond de cathédrale Notre-Dame, afin d’évoquer l’élan de solidarité planétaire déclenché par l’incendie du 15 avril, qui fait lourdement défaut aux milliers de personnes qui risquent leur vie en Méditerranée pour tenter de gagner l’Europe.
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Vendredi 28 juin, Carola Rackete décide de violer l’interdiction de pénétrer dans les eaux territoriales italiennes pour faire accoster de force son navire humanitaire dans le port de l’île de Lampedusa. À bord du Sea Watch 3, affrété par l’ONG allemande Sea Watch, se trouvent 42 personnes migrantes secourues début juin au large de la Libye et à bout de forces, selon la jeune capitaine, qui invoque l’« état de nécessité » prévu par le droit maritime : il fait obligation absolue d’assister les personnes en détresse en mer, comprenant l’accueil dans le port le plus proche et le plus sûr.
Pourtant, dès son arrivée, Carola Rackete est arrêtée : le gouvernement italien, soumis à l’influent Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur d’extrême droite, a durci sa législation l’an dernier, interdisant l’accès portuaire aux navires d’ONG secourant les personnes migrantes en Méditerranée. Bateaux qui, depuis juin, peuvent être saisis. L’affréteur risque une amende de 50 000 euros et la capitaine jusqu’à vingt ans de prison. Saisie, la justice italienne a cependant rapidement remis en liberté la militante : elle a statué mardi 2 juillet qu’elle n’avait pas outrepassé le droit maritime, mettant pour l’occasion le droit italien en porte-à-faux avec les engagements internationaux signés par l’État (1).
L’affaire a immédiatement déclenché une nouvelle crise européenne. Matteo Salvini a qualifié « d’acte criminel, d’acte de guerre » la décision de Carola Rackete, dont le navire a brièvement tassé contre un quai une vedette de garde-côtes qui s’opposait à l’accostage. Le ministre de l’Intérieur a par ailleurs attaqué les Pays-Bas, « qui se foutent des agissements d’un bateau battant leur pavillon » (c’est le cas du Sea Watch 3), et l’Allemagne, « qui n’a rien fait ». Son homologue français, Christophe Castaner, a réaffirmé que la politique italienne de fermeture des ports est contraire au droit maritime, alors que la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, dénonçait « une stratégie d’hystérisation ». Quant au ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, il a demandé une « clarification rapide » des accusations visant sa concitoyenne, alors que « le sauvetage des vies est une obligation humanitaire » et ne devait pas « être criminalisé ».
Cette passe d’armes jette une lumière de plus en plus crue sur l’hypocrisie communautaire, alors que le scandale humanitaire s’aggrave depuis quelques mois. Le renforcement des frontières extérieures de l’Union et les restrictions imposées par l’Italie ont considérablement réduit l’activité des navires humanitaires, dont l’une des priorités est désormais d’empêcher la récupération par les garde-côtes libyens des personnes migrantes, promises à une détention qui les expose à toutes sortes d’exactions.
Il y a un an, sous la pression de l’Italie, point d’entrée privilégié de ces migrations en raison de sa proximité avec l’Afrique du Nord, l’Union adoptait le principe de « plateformes de débarquement » hors de l’Union et de « centres contrôlés ». Vite abandonnés, car inapplicables dans le principe et en infraction avec le droit international.
Pour l’Italie, bien qu’elle ait reçu environ 1 milliard d’euros de soutien de la part de l’Union, l’équation n’a donc guère changé. Et la France et l’Allemagne, qui fustigent la rhétorique incendiaire de Matteo Salvini, se montrent incapables de s’accorder sur une réforme de la politique migratoire de l’Union. En avril, le même Castaner qui fait la leçon à l’Italie s’interrogeait sur le rôle de l’association SOS Méditerranée, « complice » des passeurs. En juin 2018, le président Emmanuel Macron stigmatisait de même les ONG, jugeant qu’elles finissent par « faire le jeu » de ces derniers.
(1) Coïncidence qui va rapidement exacerber ce débat, le procès de Pia Klemp vient de s’ouvrir en Italie pour des accusations identiques. La capitaine allemande, qui a piloté un temps le Sea Watch 3, a sauvé des milliers de vies en Méditerranée entre 2016 et 2017.