« Macron joue l’opinion contre les profs »
Dénonçant une « prise d’otages » par les enseignants grévistes du bac 2019, le Président a renouvelé son soutien à Blanquer. Le Snes-FSU dénonce l’absence de dialogue et le mépris du pouvoir.
dans l’hebdo N° 1561 Acheter ce numéro
Le bac 2019 s’achève dans un contexte d’affrontement entre des enseignants et un ministère. La grève des surveillances d’examen puis la rétention des notes a accentué le bras de fer. Mais le ministre a maintenu le passage en force sur ses réformes et tente de jouer l’opinion contre les profs. « Quelques radicaux » ont été accusés de « prendre en otage les élèves » par Emmanuel Macron lui-même quand il a renouvelé sa confiance en son ministre, le 7 juillet, sur France Info. Dans l’attente des notes retardées, des « solutions » ont été annoncées pour calculer des notes de bac provisoires à partir des notes obtenues par les élèves pendant l’année. Le ministère a dénombré une centaine de jurys perturbés sur 1 500. Plutôt 300 selon le collectif Bloquons Blanquer, qui a recensé 126 000 copies manquantes là où le ministère en compte 30 000. Une quantité de dysfonctionnements signalés dans les jurys de délibération circulent dans les collectifs enseignants. Certains jurys se sont terminés avec des notes « mises au hasard » par des enseignants contraints ou non correcteurs, voire des proviseurs seuls par endroit. Ce bac 2019 a généré des inégalités de traitement tels que des familles pourraient engager des recours en justice. Les enseignants se préparent à une rentrée tendue. Entretien avec Frédérique Rolet, secrétaire générale du Snes-FSU.
Comment analysez-vous les propos d’Emmanuel Macron qui a renouvelé sa confiance en Jean-Michel Blanquer et dénoncé la « prise d’otages » des bacheliers par les enseignants grévistes ?
Frédérique Rolet : Je n’ai pas souvenir d’un tel précédent dans l’Éducation. Mais voir le président voler de la sorte au secours de son ministre traduit une certaine fébrilité. L’expression « prendre en otages » est employée à chaque grève dans un service public, comme à la SNCF par exemple. Elle renvoie à des situations autrement dramatiques. Cette comparaison inconvenante n’est pas digne d’un président. Emmanuel Macron n’a pas cherché à apaiser la situation, mais à opposer une poignée d’enseignants considérés comme radicaux à ceux qui auraient le sens du service public et seraient conscients de leurs « devoirs ». Mais qu’est-ce que le devoir ? Laisser s’installer des réformes qui vont pénaliser les élèves des catégories populaires et des zones rurales ? Cette parole présidentielle est emblématique d’une politique globale : individualiser les problèmes et, surtout, ne pas les appréhender dans leur dimension sociale.
Était-ce une manière de dire aux enseignants que le « bon fonctionnaire » est celui qui obéit aux ordres sans les questionner ?
Si on met les propos d’Emmanuel Macron en relation avec l’article 1 de la loi Blanquer sur le devoir d’exemplarité des personnels de la fonction publique, le bon fonctionnaire serait celui qui se garderait d’avoir un avis sur son métier et les réformes qu’on lui demande de mettre en œuvre. Les enseignants non grévistes qui ont refusé de mettre des notes au hasard se sont vu menacés d’être considérés comme grévistes de fait. Ils invoquaient pourtant le respect du code de l’Éducation et le principe d’égalité de traitement des élèves. Ils ont demandé un ordre écrit pour être couverts en cas de recours. Ils ont refusé d’appliquer un ordre illégal.
Quelle est la légalité des « solutions » proposées par le ministre Blanquer ?
Nombre sont entachées d’illégalité. Par exemple, les présidents de jury doivent normalement être nommés par arrêté. En principe, ce sont des universitaires, puisque le bac est considéré comme le premier grade universitaire. Or, cette année, on a vu des présidents de jury auto-désignés. Ensuite, les membres des jurys doivent être nommés par les recteurs. Or, cette année, ceux-ci ont dit qu’ils allaient faire appel à des enseignants qui n’avaient pas corrigé les épreuves. Le ministre a annoncé que ce serait les meilleures notes qui seraient retenues dans le cas où la note provisoire serait supérieure à la note définitive. Mais il y a eu des inégalités de traitement tels que des familles vont être en situation de protester. Des recours pourraient être engagés. Du point de vue juridique, la balle est dans le camp des parents d’élèves.
Ne serait-ce pas des recours des parents que le président aurait cherché à prévenir en évoquant la « prise d’otage » ?
Le président a en effet voulu jouer l’opinion contre les profs. En outre, comme les lois Blanquer prévoient de développer le contrôle continu local au détriment d’épreuves finales nationales, le ministre a profité de l’action sur la rétention des notes pour anticiper ce fonctionnement. Le ministère prévoit en effet que le bac se passe à 10 % en contrôle continu, à 60 % à travers des notes issues d’un contrôle terminal (grand oral, philosophie, français et spécialités) et à 30 % en évaluations sur le modèle des examens semestriels universitaires, à raison de deux épreuves en première et une en terminale. Les évaluations des deux enseignements de spécialité devraient se dérouler fin mars pour pouvoir être intégrées dans les dossiers pour Parcoursup. Mais, d’une part, sur quoi travailleront les terminales en avril, mai, juin, si les épreuves pour entrer à l’université s’achèvent en mars ? En outre, tous les élèves n’auront pas choisi les mêmes combinaisons de spécialités, donc les évaluations de mars vont s’étaler pendant au moins une semaine. Que vont faire les élèves de seconde pendant ce temps ? Au-delà de la remise en cause du diplôme national, cette réforme pose des problèmes de faisabilité et de métier. Les enseignants vont passer leur temps à évaluer.
En quoi le contrôle continu renforce-t-il les inégalités ?
Le livret scolaire sert déjà à récupérer le faible pourcentage d’élèves qui ont un dossier bon ou moyen et se plantent à l’examen. Ces cas exceptionnels ne peuvent pas justifier le contrôle continu. Une étude publiée par le Cnesco (1) l’an dernier montre aussi qu’un certain nombre de pays passés au contrôle continu reviennent vers une formule en épreuve terminale. Motif : c’est ce qui permettrait le plus d’égalité au moment de l’examen, mais aussi dans ce que les profs vont enseigner tout au long de l’année, indépendamment du supposé niveau des établissements. Mais impossible d’en discuter avec le ministère : il ne répond à aucun message, ni son cabinet. Je n’en ai jamais connu une telle absence de dialogue.
Quelle lecture faites-vous de cette année de mobilisations ?
On a eu l’impression de mobilisations permanentes ne mobilisant pas les mêmes personnes ni toutes les académies depuis septembre. Jean-Michel Blanquer a multiplié les mécontents : enseignants du premier degré, puis du second degré, lycéens, parents d’élèves. Les marques de mépris s’enchaînent. Par exemple, le ministre a envoyé une circulaire expliquant aux enseignants comment apprendre la graphie ! Ça n’est pas son rôle. Et la démocratie ne s’arrête pas après l’élection.
Quel signe pourrait marquer une volonté de reprendre le dialogue ?
Il faudrait déjà que le ministère reçoive les organisations syndicales. Il devait y avoir une présentation de l’agenda social le 8 juillet devant les fédérations de l’Éducation. Elle a été annulée au motif que le climat social « ne s’y prêtait pas ». Des rendez-vous bilatéraux ont donc été donnés. La FSU en a un prévu le 16 juillet. Un peu tard pour espérer des modifications. Pour les salaires, Jean-Michel Blanquer a annoncé un observatoire des rémunérations. Mais les enseignants attendent des mesures concrètes. Pour cette rentrée, au-delà des questions éducatives, on attend des mesures assez dramatiques avec les réformes de la fonction publique et des retraites. Les effectifs seront en hausse dans les collèges, avec des suppressions de postes. En lycée, certains enseignements, comme les disciplines artistiques, n’existeront plus dans certains établissements. En septembre, le ministre avait dit que la réforme allait également servir « à rationaliser l’offre de formation ». Certaines matières, artistiques notamment, n’existeront plus dans certains établissements, qui ne proposeront que 7 spécialités, contre 12 pour d’autres. L’autre gros chantier, c’est la réforme de l’éducation prioritaire, avec la suppression de la labellisation REP (2). Ne resteront que les REP +. Le maître mot de la politique éducative de Jean-Michel Blanquer, c’est vraiment la rupture d’égalité, et ce, dans un contexte particulièrement autoritaire, idéologique et court-termiste.
Frédérique Rolet est secrétaire générale du Snes-FSU.