PMA : « C’est fou de devoir prouver qu’on est de bonnes mères ! »
Des projets de conception à l’étranger aux questionnements des enfants issus d’un don, la législation actuelle sur la PMA crée de nombreux obstacles inutiles. Témoignages de Stéphanie, Pascale, Clément et Joseph.
dans l’hebdo N° 1563-1565 Acheter ce numéro
Timothée a sept ans et demi. Ses mamans, Stéphanie et Pascale, ont décidé de faire appel à une clinique étrangère en 2009 pour les aider à fonder leur famille. Une décennie plus tard, alors qu’elles se remémorent les débuts de cette démarche, un mot leur vient à l’esprit : « fou ». Marseillaises, les deux femmes choisissent l’Espagne. « Il faut pouvoir partir à la clinique du jour au lendemain pour l’insémination, explique Stéphanie. Marseille-Madrid, c’était plus pratique que Marseille-Bruxelles. C’est extrêmement stressant : on ne sait pas quand il va falloir tout lâcher pour partir, si on va être à l’heure, s’il va y avoir un avion… Si on se lance, c’est qu’on veut vraiment un enfant. » Sur place, le couple se retrouve confronté à la barrière de la langue. « Il n’y a pas de lien qui se crée clairement avec la clinique. Les médecins que l’on rencontre ne sont jamais les mêmes. En fait, la clinique est une grosse usine. »
Entre deux rendez-vous chez le gynéco et le psy, Stéphanie et Pascale en glissent un troisième à la banque. « Nous avions prévu un budget pour avoir un enfant, raconte Stéphanie. Ça paraît fou, mais lorsqu’on se fait inséminer à l’étranger, c’est un passage obligé. On met de l’argent de côté pour quatre ou cinq inséminations, et si ça ne marche pas, on attend quelque temps pour recommencer. » La grossesse doit également être suivie par un gynécologue en France. « Heureusement, le mien a tout de suite accepté de le faire, raconte Stéphanie. On n’a pas eu de dépenses folles en France, car il a eu l’extrême gentillesse de me faire des prescriptions remboursées pour les injections. » Lors de leur deuxième tentative, ce gynécologue étant parti à la retraite, les deux femmes ont dû acquitter l’ensemble des frais.
Au coût de l’insémination (environ 1 500 euros) s’ajoutent les dépenses de transport (voyages en avion) et d’hôtellerie – « mais on a déjà fait l’aller-retour dans la journée ». Salariée dans l’armée, Pascale doit également s’arranger avec sa hiérarchie pour poser des congés de façon inopinée. « La première fois, ils l’ont prise pour une folle ! s’amuse Stéphanie. Elle a dû leur expliquer, ils ont été compréhensifs. » Le couple fait le voyage trois fois. « Tout est très difficile jusqu’au moment où ça marche. »
La bataille suivante : la filiation. Depuis la loi légalisant le mariage pour tous en 2013, les mères qui n’ont pas accouché peuvent adopter leur progéniture. À une seule condition : être mariées (c’est optionnel pour les couples hétéro-sexuels). « Forcer un pan de la société à se marier pour avoir des droits, ça me pose question, confie Stéphanie. Ma compagne, même si elle ne l’a pas porté, était la mère de Timothée dès sa naissance, et même avant. Dans un couple, il y a toujours quelqu’un qui porte et quelqu’un qui ne porte pas ! »
Il s’est écoulé peu de temps entre la naissance du bébé et l’ouverture à tous les couples de la possibilité d’adopter. « Par chance », car qui dit « mère sociale » – la conjointe de la mère biologique – dit aussi mère sans droits. Sans reconnaissance administrative de la filiation, il peut se révéler difficile d’emmener son enfant à un rendez-vous médical ou de venir le chercher à l’école. Si Pascale et Stéphanie n’ont pas rencontré ce genre d’obstacles, elles ont fait face au « dédain » de certains professionnels. Stéphanie se remémore les premières consultations : « Quand on venait à deux, le médecin ne s’adressait qu’à moi car j’étais la mère biologique. Si ma compagne posait une question, il répondait sans la regarder. »
La plus grosse source d’angoisse ? « Le deuil, répond Stéphanie du tac au tac. Si l’une de nous disparaît, qu’est-ce qui se passe ? L’idée me faisait beaucoup gamberger. Mon épouse pouvait se retrouver sans son fils, et mon fils sans sa mère… Ma famille nous soutient pleinement, mais on ne sait jamais. » L’adoption étant décidée par un juge, Stéphanie et Pascale doivent démontrer qu’elles sont « de bonnes mères » pour Timothée. Il faut convaincre un juge de la « normalité » de leur vie familiale. Alors elles amassent des preuves : photos, témoignages et attestations de la famille, des amis, des instituteurs… Elles se préparent aussi à une visite à l’improviste des gendarmes. « C’est intrusif et violent psychologiquement, d’autant plus pour les enfants. »
Au bout de six mois de procédure, la requête est acceptée. N’en demeure pas moins une certaine amertume. « On attend de nous que l’on soit des familles normales, selon des critères hétéronormés, mais on nous refuse les droits dont bénéficient les couples hétérosexuels, regrette Stéphanie. A posteriori_, on se dit que c’est fou de devoir prouver qu’on est de bonnes mères ! »_ La jeune maman a placé tous ses espoirs dans la loi de bioéthique qui sera débattue en septembre à l’Assemblée nationale. « J’ai peur que cela se fasse dans la douleur, et je ne suis même pas sûre que cela ait lieu dans les mois qui viennent. » La PMA est reportée depuis plus de sept ans, soit depuis la promesse non tenue de François Hollande en 2012. Pas de frangin·e pour Timothée : ses mères n’ont « pas eu le courage » de se relancer dans ce « parcours du combattant » à l’étranger.
Stéphanie appelle de ses vœux « ce qui va nous amener à la plus grande égalité possible ». Stop au « deux poids deux mesures » ! Incomplète, l’avancée que constitue le mariage pour tous est loin d’avoir fait tomber tous les obstacles de ce parcours. Stéphanie y voit une « hypocrisie et une faille : on peut adopter des enfants nés par PMA à l’étranger, mais pas se faire inséminer sur le territoire ! » Certains juges n’hésitent pas à profiter de ce flou pour refuser l’adoption à la mère qui n’a pas accouché… « On nous donne des droits en nous disant : “Ne soyez pas soulagés, car on peut vous les retirer à tout moment.” Les couples homosexuels ne sont jamais totalement égaux aux couples hétérosexuels, ni sur le mariage, ni sur l’adoption, ni sur la PMA. » Filiation, accès aux sources ou remboursement, les zones d’ombre sont encore nombreuses dans la loi en préparation. « C’est un “package”, estime Stéphanie. Ouvrir la PMA à toutes les femmes sans évoquer son remboursement, l’accès aux origines ou la filiation créerait de nouvelles discriminations. »
L’accès aux origines est un autre point-clé de la loi qui sera débattue en septembre. Clément a 30 ans. Son père et sa mère, qui ont eu « des difficultés à [l]’avoir », ont décidé de faire appel à un centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos) pour les aider à fonder leur famille. « Vers 10 ans, quand je me comparais physiquement avec mes parents, je ne voyais aucune ressemblance avec mon père. Mes questions devenaient incessantes. Je sentais qu’il y avait quelque chose qu’on ne me disait pas. » Il apprendra finalement la vérité à 12 ans, lors d’une partie de pêche en tête-à-tête avec son père. « Il me l’a annoncé comme un cheveu sur la soupe, se souvient le jeune homme. C’était un moment fort et, en même temps, j’étais très partagé. C’était à la fois un choc et une libération qui venait éteindre la machine à fantasmes. »
Quelques années plus tard, l’adolescent en pleine quête identitaire cherche à rencontrer son donneur. « Mon sentiment premier a été l’injustice. J’avais beaucoup de questions, mais on m’a stoppé net dans mon élan. On m’a expliqué que je devais respecter l’anonymat du don dans l’intérêt général. Mais mon intérêt à moi… » Clément ne cherche pas un père de substitution, mais des réponses : à quoi ressemblerai-je plus tard, qu’ai-je hérité de lui, pourquoi a-t-il fait ce don, qui suis-je ? Depuis, les tests ADN sont arrivés. En quelques clics sur Internet, Clément a rencontré deux « demis » – un garçon et une fille issus du même donneur. Aujourd’hui vice-président de l’association PMAnonyme, il milite pour le droit d’accès aux origines des enfants nés de dons anonymes. « Les tests ADN ont rendu l’anonymat obsolète. Lever l’anonymat du don, c’est aussi l’humaniser. »
Joseph, lui, a 64 ans. Il est le père de trois enfants, grand-père de sept petits-enfants et donneur de sperme à dix reprises. La première fois, c’était à la naissance de sa fille, Annabelle, au mois de janvier 1984. « Un médecin est venu nous voir, ma femme et moi, pour me demander de faire un don de sperme. Il nous a expliqué qu’il y avait deux ans d’attente pour répondre aux problèmes d’infertilité de certains couples, explique le retraité. C’était considéré comme un don d’un couple à un autre couple, une démarche humaniste et désintéressée, au même titre qu’un don du sang. » Quatre ans plus tard, il effectue une nouvelle série de cinq dons en vue de faciliter « la venue au monde de “petits frères” ou “petites sœurs” ». « Statistiquement, je peux avoir cinquante enfants, explique-t-il. C’est surprenant, mais ça ne m’effraie pas. » Il se souvient malgré tout être « tombé à la renverse » un beau jour en croisant une mère et ses deux fils, qui ressemblaient comme deux gouttes d’eau aux siens.
Vingt ans plus tard, Joseph découvre qu’« il y a une souffrance chez des jeunes issus de dons anonymes, qui cherchent leurs donneurs pour se construire ». L’absence d’anonymat l’aurait-elle découragé de donner ses gamètes ? Il répond par la négative. « Ces jeunes ne cherchent pas un père, ils en ont déjà un (1)_. »_ « Il y a trente-cinq ans, j’ai voulu aider des couples qui voulaient avoir un enfant, conclut Joseph. Maintenant, je suis prêt à aider les enfants qui veulent savoir d’où ils viennent. »
(1) La loi française interdit d’ailleurs toute filiation entre donneur et enfant issu du don.