Retraites : une réforme sous le sceau du soupçon
Le gouvernement aura du mal à dissimuler les menaces importantes que son projet fait peser sur le niveau de vie des retraités, malgré un argumentaire fondé sur la lutte contre les inégalités. Une bataille colossale s’amorce.
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Ayez confiance ! Les intentions du gouvernement à l’heure d’entamer les grands travaux du système des retraites sont dénuées d’arrière-pensées. Équité et visibilité sont les vertus cardinales du système « universel » dont Emmanuel Macron veut être le grand architecte. Il s’affranchirait ainsi d’une tradition politique vieille de trente ans, consistant à prolonger la vie active et à diminuer le niveau relatif des pensions, pour gérer par l’austérité le plus gros pilier de notre système social (300 milliards d’euros). Non, martèle le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye, cette réforme « n’est pas une opération budgétaire ».
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Cette parole a-t-elle encore du crédit, alors même que le gouvernement entretient depuis des mois des velléités de faire des économies sur le système des retraites dès l’année prochaine ? Il devrait finalement renoncer à puiser dans le pot commun pour financer les mesures accordées pendant la crise des gilets jaunes, mais des mesures d’économies devraient bien être au menu de la prochaine Loi de finances, pour rééquilibrer plus vite que prévu le système des retraites.
Dans sa construction même, le système défendu par Emmanuel Macron possède en réalité une vertu supérieure : l’équilibre financier. Il est d’ores et déjà établi que cet équilibre, rendu précaire par une forte augmentation du nombre de retraités, sera cherché en rétrécissant les droits.
« Une bonne fois pour toutes » pourrait également être son slogan. Car grâce au « point », valeur étalon fluctuante pour les cotisations et les pensions, plus besoin d’en passer par des réformes politiquement explosives.
Devant l’ampleur de la tâche, Emmanuel Macron a pris quelques précautions en scénarisant sa réforme. Mais il s’avance comme on cherche un signe de Dieu, au-devant d’une épreuve politique qui sera historique, qu’elle passe ou qu’elle casse. Le type de croisade qui le fait se sentir « vertical » et « jupitérien » et lui offre ce plaisir non dissimulé de ratiboiser les acquis sociaux et d’écorcher la fonction publique, qu’il semble décidément honnir.
Mais l’affaire concerne cette fois des angoisses que chacun transporte, au fil de son parcours professionnel : le vieillissement, la paupérisation, le poids des impôts, la juste rétribution des efforts… Si l’autorité d’Emmanuel Macron se mute une fois de plus en autoritarisme, il risque donc d’abîmer plus encore notre culture démocratique, avec des conséquences politiques difficilement mesurables.
La gauche, quant à elle, devra se montrer audible avec un discours paradoxal : elle ne défend pas le modèle actuel, inégalitaire et poreux aux régressions des droits, et le mal qu’elle combat n’est pas inhérent au calcul par points. Elle s’en prend au carcan budgétaire qui se niche dans le futur système et à la doxa qui préside depuis trente ans et fragilise la solidarité interprofessionnelle. La mobilisation, déjà lancée, portera donc sur un conflit de valeurs qui dépasse l’architecture du système par points. Elle devra aussi, pour mobiliser, interpeller les plus jeunes, ceux qui se désintéressent du sujet mais seront les principaux concernés, tandis que les plus de 45 ans qui garnissent les manifestations ne seront que faiblement impactés.